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Une peau nacrée

Au Grand Palais, l’exposition (intéressante, originale, discutée par certains critiques) privilégie trois décennies des longues et fécondes années tardives de Pierre-Auguste Renoir : des années 1890 jusqu’à sa mort en 1919, à 78 ans. Une centaine d’œuvres sont rassemblées : peintures, sculptures, fusains, sanguines. De très nombreuses photographies représentent l’atelier de Renoir, sa vie familiale, ses modèles, ses galeristes, ses collectionneurs, ses amis (peintres, écrivains).

EXPOSITION

Renoir au XXe siècle
Galeries nationales, Grand Palais, Champs-Élysées
23 septembre 2009 – 4 janvier 2010
Catalogue sous la direction de Sylvie Patry, commissaire de l’exposition, 464 p., 49 €, publication RMN

SYLVIE PATRY
RENOIR AU XXe SIÈCLE
Gallimard/RMN, hors-série Découvertes, 15 p., 8,40 €

ANNE DISTEL
RENOIR : « IL FAUT EMBELLIR »
Découvertes Gallimard/RMN, 176 p., nb. ill. (1993, rééd.), 14,50 €

PIERRE-AUGUSTE RENOIR
L’AMOUR AVEC MON PINCEAU (TEXTES, LETTRES, PROPOS CHOISIS)
Choix et notes de Jean-Paul Morel
Mille et Une Nuits éd., 160 p., 4 €

FLORENCE GENTNER
ALBUM D’UNE VIE, PIERRE-AUGUSTE RENOIR
Éd. du Chêne, 176 p., 35 €

Au Grand Palais, l’exposition (intéressante, originale, discutée par certains critiques) privilégie trois décennies des longues et fécondes années tardives de Pierre-Auguste Renoir : des années 1890 jusqu’à sa mort en 1919, à 78 ans. Une centaine d’œuvres sont rassemblées : peintures, sculptures, fusains, sanguines. De très nombreuses photographies représentent l’atelier de Renoir, sa vie familiale, ses modèles, ses galeristes, ses collectionneurs, ses amis (peintres, écrivains).

Très tôt, vers 1897, la polyarthrite rhumatoïde le tourmente. Henri Matisse le rencontre ; il admire son courage joyeux : « J’allais le voir à Cagnes. Dans les dernières années de sa vie, ce n’était plus qu’un paquet de douleurs. On le portait dans son fauteuil. Il y tombait comme un cadavre. Il avait les mains bandées, des doigts comme des racines, tellement tordus par la goutte qu’il était incapable de tenir un pinceau. On lui passait dans son pansement le manche d’une brosse. Les premiers mouvements étaient si douloureux qu’ils lui arrachaient une grimace. Au bout d’une demi-heure, quand il était en train, le mort ressuscitait ; je n’ai jamais vu d’homme si heureux. Et je me suis promis qu’à mon tour je ne serais jamais un lâche. »

Sans cesse, Renoir est l’homme de douleurs et de doutes. « Peut-être ai-je peint (dit-il) les trois ou les quatre mêmes tableaux pendant toute ma vie ! Je m’acharne sur les mêmes problèmes. » Il s’interroge sur le désir de peindre et sur le choix exact des figures… Vers la fin de sa vie (donc, au XXe siècle !), il semble trouver un accomplissement : « Si je n’avais pas vécu au-delà de soixante-dix ans, je n’existerais pas. » Après soixante-dix ans, il s’efforce de chercher de nouvelles chances, de nouvelles réussites, d’autres surprises, les désirs du vieil homme souffrant. Il n’est jamais abattu. Il lutte. L’un de ses fils, le grand cinéaste Jean Renoir, voit son père comme pudique : « Il n’aimait pas révéler l’émotion qui le bouleversait tandis qu’il regardait les fleurs, les femmes, les nuages du ciel. » Selon Jean, il percevait le « côté cocasse » ; il éprouvait « un mélange d’ironie et de tendresse, de blague et de volupté ». Presque paralytique, épuisé, il regarde une femme nue dans le jardin et, quand il peint, il fredonne les rengaines que le modèle chantonne ; Renoirsifflote. Ils’amuse quand même.

Renoir serait à la fois obstiné et flottant : « Lorsque je regarde ma vie, derrière moi, je la compare à un de ces bouchons jetés à la rivière. Il file, puis est pris dans un remous, revient en arrière, plonge, remonte, est accroché par une herbe, fait des efforts désespérés pour se détacher et finit par aller se perdre, je ne sais où… » Alors, il aime l’irrégulier, l’insolite, la variabilité ; il évite les lignes droites. À un moment, il imagine une « Société des Irrégularistes » et il ne voudra réaliser, évidemment, aucune Société, aucune institution ; il choisit l’éloge du charme de la diversité : « Les deux yeux du plus beau visage seront légèrement dissemblables… Les quartiers d’une orange, les feuilles d’un arbre, les pétales d’une fleur ne sont jamais identiques ; il semble même que les beautés de tout ordre tirent leur charme de cette diversité »… Plus tard, il peint les paysages de Cagnes (vers 1908), la densité des végétaux, le foisonnement, le touffu. Et, en 1903, le peintre Maurice Denis évoque une nouvelle Arcadie, un paradis grec ; Renoir voudrait « faire craquer les contours avec les jeux de lumières pour qu’éclate mieux la plénitude des formes ».

Le centre des tentatives picturales de Renoir est toujours le charnel. Il étudie la peau nacrée en peinture. Il admire le modèle : « Ah ! ce téton ! Est-ce assez doux et lourd ! Le joli pli qui est dessous avec ce ton doré… C’est à se mettre à genoux devant. » Il précise : « Je regarde un nu, j’y vois des myriades de teintes minuscules ; il me faut trouver celles qui feront vivre et vibrer ma chair sur ma toile. » Toute femme l’émeut ; elle l’exalte. « Elle s’appelle (dit-il) Vénus ou Nini ; on n’inventera rien de mieux qui sort de l’onde amère ou du lit. » Il murmure : « Le modèle n’est là que pour m’allumer, me permettre d’oser des choses que je ne saurais pas inventer sans lui. »

Vers 1895, Mallarmé écrit l’adresse de Renoir : « Villa des Arts, près de l’avenue/De Clichy, peint Monsieur Renoir/Qui devant une épaule nue/Broie autre chose que du noir. » Le rayonnement de la peau inventée par Renoir fascine les peintres et les écrivains. Selon Pierre Bonnard, Renoir « avait souvent des modèles qui avaient une peau grise, qui n’étaient pas nacrés et il les peignait nacrés ». Renoir dit à Matisse : « Si vous saviez, mon cher, comme j’ai aimé la femme !... Et pas comme un vieux cochon ! » Maurice Denis considère que Renoir aime le luxe, le calme, la volupté : « Le luxe est la richesse du métier ! Le calme, la continuité dans l’effort ! Et surtout la volupté. » Pour Huysmans (1882), « Renoir est le véritable peintre des jeunes femmes dont il rend, dans cette gaieté, la fleur de l’épiderme, le velouté de la chair… ».

Et Renoir meurt le 3 décembre 1919. Selon Jean Renoir, il aurait réclamé, quelques heures auparavant, une palette et un pinceau pour représenter des fleurs. Il aurait murmuré à sa garde-malade : « Je crois que je commence à y comprendre quelque chose. » Mais que comprendre ? Comprendre où, quand ? Car Renoir aimait plaisanter.

Gilbert Lascault

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