« L’écriture est un fardeau ». Entretien avec Pierre Notte

Dans cet entretien, Pierre Notte nous présente son dernier roman, Les Petites Victoires (Gallimard, 2020), et nous raconte pourquoi le thème de la violence faite aux femmes est important dans son travail.
Dans cet entretien, Pierre Notte nous présente son dernier roman, Les Petites Victoires (Gallimard, 2020), et nous raconte pourquoi le thème de la violence faite aux femmes est important dans son travail.

Velimir Mladenović : Vous êtes auteur, écrivain, metteur en scène. Quel est votre espace d’expression préféré ?

Pierre Notte : J’écris. J’écris d’abord et avant tout, depuis toujours. Ce n’est pas un métier, pas une profession, encore moins une vocation. C’est un fardeau, parfois, ou une nécessité. Pour ce qui me concerne, ce sont les manques, les obscurités, les troubles, qui font l’écriture. Le manque de mots pour dire, les manques à être. C’est un espace vital, nécessaire. Isolé et éloigné, j’écris, pour tenir, je fais comme je peux, pour fouiller, comprendre, essayer d’y voir plus clair dans mes ténèbres. Le théâtre, l’écriture théâtrale, permet d’inventer un langage, un dialogue, un échange, d’exposer sur scène la catastrophe d’être au monde, de prendre les distances qui s’imposent, de la hauteur, et d’en rire aussi. Puis il s’agit de porter un projet, pour qu’il prenne vie ; et là, c’est un vrai métier, mettre en scène des équipes, acteurs, techniciens, créateurs et artistes, de retrouver les autres dans un projet commun, faire ensemble cela, s’emparer d’une histoire à réécrire, d’un monde à refaire, de monstres à affronter, d’en jouer. C’est un refuge partagé. 

V. M. : Dans la plupart de vos ouvrages, vous décrivez la condition des femmes, la violence faite aux femmes par les hommes. Dans quel monde vivons-nous ? Pourquoi ce thème vous obsède-t-il ?

P. N. : J’écris d’abord dans la nécessité d’apprivoiser des manques, des peurs ou des hontes. De calmer des obsessions, des sujets qui assiègent et qui font mal, font peur. Le pouvoir et la famille, les tribus et les lois des plus forts, les haines à bon compte, la mise à mal de l’autre. J’observe depuis longtemps le sort réservé aux femmes – les agressions, les charges mentales, les inégalités, les réflexes sexistes, réitérés sans pensée parfois, même sans malveillance, répétés à l’infini depuis des modèles imposés. Le rose et le bleu, la maison ou la chasse, les carrosses de poupées ou les camions pompiers, ce sont des détails. Partout, une misogynie sinueuse, sournoise, ou offensive, directe, jusqu’au féminicide. Nous sommes nombreux à être inquiets, auteurs et autrices, traversés ou heurtés par ces sujets, cette question de la place laissée aux femmes dans un monde d’hommes, dirigé, conduit, administré par des hommes, toujours. 

V. M. : Votre dernier roman, Les Petites Victoires, est une histoire de quatre femmes qui vivent dans quatre différentes époques. Comment définissez-vous ces « petites victoires » ?

P. N. : Quatre femmes. Elles sont liées par l’amour inconditionnel de la famille, elles sont sœur, mère, grand-mère ou petite fille, elles doivent sans le vouloir se livrer aux combats ordinaires, quotidiens, aux luttes acharnées contre les préjugés intégrés comme des hontes bues, par les hommes comme par les femmes. Des années soixante à aujourd’hui. Ici, elles sont quatre, dans des temps et des milieux différents, réunies par leur lien familial, à se battre pour leur liberté sexuelle, leur indépendance professionnelle, leur volonté de jouir, d’aimer, d’être aimées, pour imposer leur libre arbitre dans une société où être une femme signifie encore et d’abord être en lutte avec les hommes, en rivalité ou en guerre avec les fils, les pères, les frères, les patriarches, les mentors et les patrons. Chacune y arrive et s’en sort, elle vainc ; elles peuvent fêter ensemble leurs « petites victoires ». Je suis tellement fier d’elles. Je les aime tellement. 

V. M. : Vous avez mentionné que vous ne vous inscriviez pas dans un mouvement féministe. Comment un auteur qui écrit sur les femmes se définit-il ? 

P. N. : Il se définit par la honte. La honte d’être un homme qui regarde dans les rues d’autres hommes se retourner sur les femmes, les siffler, les insulter, les agresser. Les chosifier. Qui voit partout des patriarches en position de pouvoir user de leur immunité pour draguer, humilier, mépriser des femmes. Qui liste les phrases machistes et obscènes des grands dirigeants du monde aujourd’hui, Trump, Bolsonaro, Berlusconi, et d’autres, quelques Français aussi. L’un dit : « Toi tu ne mériterais même pas que l’on te viole », l’autre dit : « Les femmes, on peut les attraper par la chatte. » Un député français : « Elle a mis cette robe pour qu’on n’écoute pas ce qu’elle avait à dire… » Comment peut-on se définir, en tant qu’homme et citoyen, autrement que par la honte ? Mais le mouvement féministe relève de l’engagement actif, de l’histoire contemporaine des femmes et des hommes. Je ne suis pas à la hauteur de ces combats. Je suis un écrivain qui se réfugie loin des champs de bataille, et qui écrit ; on fait comme on peut, assailli par le sujet.

Velimir Mladenović

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