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Les foules des oiseaux, des anges, des rats

Dans les immenses tableaux de Marie Morel (née en 1954), les femmes à demi dénudées, les hommes, les oiseaux, les anges qui bandent, les rats, les arbres, les buissons s’accumulent, s’assemblent, s’amassent. Les êtres vivants (humains, animaux, végétaux) se fréquentent, s’approchent, se conjoignent. Ils s’accolent, se superposent, se stratifient. Ils s’aiment. Ils vibrent.

EXPOSITION
Marie Morel, peintures
Halle Saint-Pierre
2 rue Ronsard, Paris 18e
10 septembre 2009 - 7 mars 2010

 

Marie Morel
Textes de Pascal Quingard, Pierre Bourgeade, Daniel Marchesseau
Ed. Chalut-Mots / Halle Saint-Pierre, 208 p., nb. ill. coul., 30 € 

Dans les immenses tableaux de Marie Morel (née en 1954), les femmes à demi dénudées, les hommes, les oiseaux, les anges qui bandent, les rats, les arbres, les buissons s’accumulent, s’assemblent, s’amassent. Les êtres vivants (humains, animaux, végétaux) se fréquentent, s’approchent, se conjoignent. Ils s’accolent, se superposent, se stratifient. Ils s’aiment. Ils vibrent.

La peinture de Marie Morel est touffue, dense, exubérante. Vigoureuse, sa peinture est une fécondité, une abondance, un foisonnement, un excès, une générosité… La peinture est le vert de la forêt, puis le ciel bleu où volent les tourterelles et les angelots excités. Ensuite, la peinture est la joie des premières neiges. Ou bien, elle est le labyrinthe automnal lorsque les rats ocre rongent les os et les détritus. Ou encore, elle est l’abîme de la nuit, l’Éros ténébreux qui enfièvre, irradie, attise, brûle. Ou aussi, la peinture est le « mystère de la mort », lorsque « les dents claquent dans le rire du cadavre ». Ou bien, elle est le gris-rose tendre des jeunes amours. Ou, parfois, la peinture est l’émouvante sexualité des vieilles dames. Ou encore, la peinture est la liberté tenace de la rebelle Louise Michel. Ou, peut-être, la peinture serait le « mystère de la vie »…

Tel tableau de Marie Morel est un damier, une succession ordonnée de figures, une suite réglée de scènes. Ou telle autre œuvre laisse circuler en douceur les oiseaux qui planent et se caressent. Telle autre encore suggère les rats qui rampent en sourdine.

Sur les vastes toiles de grand format, sur les surfaces planes recouvertes de couleurs en un certain ordre assemblées, Marie Morel met en rapport des scènes éperdues, des poèmes brefs calligraphiés, des plumes d’oiseaux (trouvées sur le sol), des branches minuscules, les feuilles des arbres, des bonbons, des billes, de petits objets indéfinissables. Tu perçois une œuvre de Marie Morel de loin et tu rencontres une ambiance colorée. Puis, tu t’approches ; tu lis de très près les mots lus et les détails d’un corps représenté.

Pour La Forêt (1999), l’artiste choisit les verts subtils et variés. Elle donne à voir les buissons agités, les halliers impénétrables, les trouées, les clairières où jouissent les amants, les chemins de la séduction et de la méditation, les ombres à travers les feuillages, l’humidité obscure, des arbres coupés, un banc… Elle écrit : « Des milliers de bruits murmurent… Je rêve… Je vais cacher dans le bois un chagrin… C’est tout l’imprévu d’une rencontre…Au fond des bois… Qui se cache ? Le chemin d’un bonheur… Des odeurs… » La description de la forêt serait « la construction d’un tableau ».

Dans Les Fantasmes secrets de la nuit (2007), dans Le Lien d’amour (2004), dans Les Nuits noires (2001), l’Éros ténébreux se consume et renaît. Selon l’écrivain Pierre Bourgeade (mort en 2009), l’œuvre de Marie Morel « s’étend des abîmes obscurs de l’érotisme aux ciels immaculés de l’amour fou ». L’artiste choisit des « tentations contraires et vivaces »… Les chaînes, les cordes, le bandeau qui aveugle la jeune femme, le collier qui serre le cou, les menottes, la cravache, les orties, le corset noir, les dentelles s’esquissent. Elle chuchote : « J’imagine… Je fantasme… J’invente… J’ose… Je veux des masques… Être ouverte… Se tordre dans l’impossible… La passion… J’aime être attachée… Créer une nuit… Sois royale sous tes chaînes… Dans la pénombre du désir… La folie de mes rêves… Une violence aussi délicieuse…

Silence… Je suis envahie de bonheur. » La jeune femme découvre son théâtre amoureux, des décors mentaux. Elle écoute les fugues du désir et de l’impatience. Les bijoux cruels s’impriment dans la chair. Les bracelets, les colliers sonnent. La femme écartelée s’offre. Son sexe ovale rayonne dans la nuit ; il est une « amande ». La femme trouve une centaine de positions nouvelles, des attitudes inattendues.

Dans Le Mystère de la vie (2006), Marie Morel invente des oiseaux contradictoires. Ils ne sont absolument pas ovipares. L’oiseau a dans son ventre un fœtus qui apparaît sous la peau transparente ; son « amande » s’expose sous les ailes. Et ces oiseaux chimériques et doux soupirent : « Je voudrais avoir une âme, survoler l’angoisse, voler au-delà… Je me noie dans le ciel… Jouir de la vie… »

Dans La Sexualité des vieilles dames (2009), Marie Morel peint une « danse du ventre dans la maison de retraite ». La femme âgée murmure : « Je suis vieille alors ? Propose-moi des jeux érotiques… Je me sens des ailes… J’attends encore l’amour… Quel est ce bruit dans mon cœur ? Je fais des rêves sensuels… Mais oui, ça marche encore… Mes vieilles mains pleines d’arthrite me caressent encore… Se faire belle au bout de la vie. »

Marie Morel peint en 2005 la vie de la révolutionnaire Louise Michel (1830-1905) et sa légende à partir de phrases de Pascal Quignard. Louise Michel a été institutrice (1856) et militante. Elle a lutté pour la Commune de Paris. Condamnée, déportée à Nouméa (1873), elle a été proche de la population canaque et des Kabyles (déportés après l’insurrection)… Et on l’appelait « la bonne Louise »… Amnistiée (1880), elle ne cessa de lutter pour la libération des « damnés de la terre ». Elle a publié des romans, des poèmes, des discours et La Commune, histoire et souvenirs (1898). Marie Morel évoque Louise Michel dans le bagne, son numéro 2182, « ses godillots aux pieds », sa robe noire, son grand manteau. Elle a écrit : « Je n’ai pas peur… Je ne crains ni l’exil, ni la mort… Chaque nuit recèle un matin… Il s’agit d’aller un peu plus vite que tout ce qui s’effondre… Destin, que feras-tu de mon rêve géant ? Je cherche le tonnerre »… Et Marie Morel trouve Louise Michel comme une sœur désirée. La liberté illimitée persévère.

Gilbert Lascault

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