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Les Grandes Cases des Kanak

Au quai Branly, cette exposition riche rassemble plus de trois cents œuvres et documents de la culture kanak. Ils viennent du musée de Nouvelle-Calédonie, de nombreux musées français et européens.

Exposition

Kanak: L'Art est une parole

Musée du Quai Branly

37, quai Branly, 75007 Paris

15 Octobre 2013-26 janvier 2014

 

Catalogue de l'exposition

Sous la direction d'Emmanuel Kasarhéou et Roger Boulay

Musée du Quai Branly/Actes Sud, 340 p., 225 ill., 47€

Au quai Branly, cette exposition riche rassemble plus de trois cents œuvres et documents de la culture kanak. Ils viennent du musée de Nouvelle-Calédonie, de nombreux musées français et européens.

Se donnent à voir les sculptures faîtières de Grandes Cases, les statues (et statuettes) à planter, les bambous gravés, les coiffures et coiffes, les « haches-ostensoirs » et « porte-lames », les chambranles, les monnaies de perles (de coquillages travaillés), les casse-tête et massues, les sagaies ornées, les figurines funéraires, les gigantesques masques qui dansent… Dans le catalogue (complexe, subtil, très informé) de l’exposition, le patrimoine matériel des Kanak et le patrimoine immatériel se retrouvent. Apparaissent les mythes, les récits, les traditions orales (puis enregistrées). Et les deux commissaires rendent hommage aux « Vieux » de la terre kanak pour la transmission de leur savoir inestimable.

Ici, nous apprenons la diversité linguistique du peuple kanak : vingt-huit langues et onze dialectes. Nous découvrons aussi les variations des formes imaginées par les sculpteurs (souvent anonymes). Par exemple, les dessins aquarellés de Roger Boulay (ethnologue, spécialiste du patrimoine kanak) montrent les jeux de l’invention, les flèches faîtières très différentes… Ou bien, Roger Boulay dessine diverses sagaies ornées.

Apparaissent aussi, dans l’exposition, les biographies de divers chefs kanak. En particulier, le grand chef Atai (1833-1878) est un combattant habile et inébranlable, un stratège. Rebelle, il lutte pour la résistance, pour l’indépendance de son peuple, contre l’humiliation, contre la spoliation des terres. Il apporte au gouverneur deux petits sacs ; il vide un tas de bonne terre pour le premier sac : « Voici ce que l’on avait ! » ; le deuxième sac porte des cailloux : « Voici ce que tu nous laisses ! » En 1878, il est l’instigateur de l’insurrection, celui qui l’organise. Mais certaines tribus, d’abord indécises, se rallient aux militaires français. Le premier septembre 1878, un auxiliaire kanak le tue et lui coupe la tête. Les femmes et les enfants des insurgés deviennent un butin des troupes auxiliaires ; l’armée française déporte les insurgés ; les régions sont dépeuplées et les terres sont offertes aux colons. Et le casse-tête « bec-d’oiseau » d’Atai se trouve dans un musée de Nantes. Le crâne du combattant sera, un jour, rendu à la Nouvelle-Calédonie… Un autre héros, Jean-Marie Tjibaou (1936-1987), dirige le FLNKS (Front de libération nationale kanak socialiste) ; il met en lumière la culture des Kanak et leur fierté ; et il est assassiné par un Kanak… Aujourd’hui, un processus d’émancipation et de réconciliation devrait aboutir (de 2014 à 2018) à la tenue d’un référendum d’autodétermination sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

Tu découvres les Grandes Cases de Nouvelle-Calédonie, les photographies anciennes, des témoignages, des œuvres conservées (et souvent restaurées), des mythes. La Grande Case est conçue (par l’architecture et par les symboles) autour du poteau central qui soutient cet édifice circulaire. Le clan s’assemble dans la grande demeure. Le chef, le « grand aîné », est au centre comme le poteau central. La « tête de la maison » est coiffée d’une sculpture en bois : la flèche faîtière. L’espace intime de la Case suppose la hiérarchie, la fraternité, la solidarité. Les maîtres de la terre seraient les fondateurs de la « chefferie ». Selon des traductions du grand ethnologue Maurice Leenhardt (1878-1954), le territoire (le mwâciri) serait le pays du « séjour paisible » lorsque régnerait l’harmonie entre le visible et l’invisible. Dans un immense banian, des puissances magiques protégeraient les guerriers pour les rendre victorieux ; et une figure fantastique assurerait les bonnes récoltes d’ignames.

Dans le catalogue remarquable de l’exposition, Emmanuel Kasarhérou affirme que le taro et l’igname ne sont pas seulement des tubercules nourriciers, mais ils sont « la chair de nos ancêtres ». Selon lui, l’igname serait du côté du soleil, de la chaleur, du principe masculin ; le taro représenterait le féminin, la fraîcheur, l’humidité, la lune pourvoyeuse de la pluie. La culture des ignames serait l’apanage des hommes, et la culture en terrasse irriguée des taros serait celui des femmes. Les Kanak sont des horticulteurs soigneux et savants : « venus avec les ancêtres dans la nuit des temps, taros et ignames fondent la civilisation kanak »…

Dans divers musées et dans des collections particulières, les Kanak admirent les haches rondes qui (depuis 1793) s’intitulent les « haches-ostensoirs ». En avril et mai 1793, les Kanak offrent à l’amiral Bruni d’Entrecasteaux (parti à la recherche de La Pérouse) un étrange instrument. C’est une hache constituée d’un disque de jadéite, monté sur un manche de bois recouvert d’étoffe d’écorce battue, maintenue par des cordonnets de poils de roussette teints en rouge. En 1793, un officier de bord décrit la choses : « sa figure est parfaitement semblable à celle du soleil dans lequel on expose la sainte hostie sur nos autels pour l’offrir à l’adoration des fidèles ». Les haches-ostensoirs sont des chefs d’œuvre précieux, des objets de prestige et de don. Cette lame est un disque de pierre verte éblouissante, mince, polie. Cette hache de prestige était tenue par un notable dans de grandes cérémonies ; elle est souvent représentée sur les bambous gravés. Ces haches circuleraient dans les îles par des échanges, des rencontres, des dons. Les haches lumineuses rayonnent.

Gilbert Lascault

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