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Deux poètes

Article publié dans le n°1023 (01 oct. 2010) de Quinzaines

 René Char n’était pas homme de demi-mesure. Il s’engageait en amitié comme il l’a fait en Résistance, avec passion. Et il restait fidèle quand il ne rompait pas violemment. Ainsi, il est resté proche d’Eluard malgré les choix partisans de ce dernier, et la mort de Camus est restée une blessure ouverte. Sans doute en est-il allé de même avec Nicolas de Staël, quand le peintre s’est suicidé, en 1955, à Antibes.
Nicolas De Staël
Correspondance 1951-1954
 René Char n’était pas homme de demi-mesure. Il s’engageait en amitié comme il l’a fait en Résistance, avec passion. Et il restait fidèle quand il ne rompait pas violemment. Ainsi, il est resté proche d’Eluard malgré les choix partisans de ce dernier, et la mort de Camus est restée une blessure ouverte. Sans doute en est-il allé de même avec Nicolas de Staël, quand le peintre s’est suicidé, en 1955, à Antibes.

Retrouver les deux hommes à l’occasion de cette correspondance fait du bien. L’usage commun de la langue, ces derniers temps, par les hommes publics, a tendance à l’affadir, voire à la corrompre. La parole de Char et celle de Staël évoquent le quotidien, l’insignifiant parfois, sans oublier le sens de la fulgurance, de l’image qui fait sens et éclaire. Et on est surpris par ce qu’écrit le peintre, que l’on connaissait peut-être moins que le poète ; son goût des mots ou de la phrase est constant et intense.

Char et de Staël se rencontrent en 1951 autour des toiles de ce dernier, à Paris. Leur amitié est brûlante « comme le vent parcourt une année en une nuit ». Les échanges qui s’ensuivent, par lettres ou cartes postales donnent une idée de ce qui se passe pendant ces trois années. Tous deux sont des forces de la nature, des colosses au caractère bien trempé, des passionnés. Le goût des femmes leur est commun, et l’amour qu’éprouve de Staël pour Françoise, qu’il a rencontrée en 1947 passe dans une formule adressée à un ami : « Ceci est une confidence, une vraie, elle est merveilleuse, ne le dites à personne. La vie coule, comme de l’aluminium glacial et brûlant. »

Mais c’est bien sûr autour du travail d’artiste que les deux hommes se retrouvent le mieux. De Staël choisit parmi des poèmes de Char ceux qu’il souhaite « illustrer ». Le verbe « incarner » serait plus approprié. Des gravures naîtront, fruits d’une lente gestation dont on retrouve l’écho à travers les premières lettres. On lit ainsi en octobre 51 ces mots de Char : « J’aperçois ici notre livre entre rocs et étoiles, avec des yeux lucides et purifiés. » Un autre projet commun, un ballet autour de l’Abominable homme des neiges, n’aboutira pas. L’Abominable des neiges, c’est son titre, est l’œuvre de Char seul.

Entre eux, pas de bavardage, de mondanité, tout juste quelques nouvelles de la famille. La plume de Staël ressemble parfois à son pinceau, quand, par exemple, il qualifie son ami : « Dans l’ensemble, cet homme est fait de dynamite dont les explosions seraient hâlées de douceur calme. » Les lieux, leur lumière reviennent souvent dans les pages que nous lisons. Comme il l’a fait avec Camus, Char convainc de Staël de séjourner, voire de vivre en Provence. Ce sera le Var, Bormes-les-Mimosas, dont de Staël définit le cadre : « J’étais un peu hagard au début dans cette lumière de la connaissance, la plus complète qui existe probablement, où les diamants ne brillent que l’espace d’un éclat d’eau très rapide, très violent. » Les couleurs aussi, jouent leur rôle, nommées dans des lettres que l’on se figure sur la toile : lire ces pages donne envie de sortir au musée ou de feuilleter des albums…

La correspondance fait état de la difficulté à peindre, met en relief l’idéal du peintre : « Le travail va par à-coups, de la terreur lente aux éclairs. Je mettrai des années à faire claquer au vent ta Provence. » Une superbe lettre de novembre 1953 traduit également ce désir de beauté, le liant à l’héritage grec, dont de Staël a pu avoir idée lors d’un voyage en Sicile avec sa famille et Jeanne, une jeune femme qui lui sert de modèle et dont il est tombé amoureux : « Jeanne est venue vers nous avec des qualités d’harmonie d’une telle vigueur que nous en sommes encore tout éblouis. Quelle fille, la terre en tremble d’émoi. Quelle cadence unique dans l’ordre souverain. »

De Staël a aussi la passion du football ; le jeu nourrit sa peinture et l’amène à une création unique d’une vingtaine de toiles : « Entre ciel et terre, sur l’herbe rouge ou bleue, une tonne de muscle voltige en plein oubli de soi, avec toute la présence que cela requiert en toute invraisemblance. Quelle joie, René, quelle joie ! »

Si la publication de cette correspondance est une bonne idée, ce n’est pas seulement parce qu’elle donne à lire l’échange entre un poète et un peintre. C’est aussi parce qu’elle met en avant le poète qui aimait passionnément vivre et peindre, prêt à se faire attacher à un mât de misaine pour observer la lumière, les vagues ou le ciel.

Norbert Czarny

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