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Dire la terreur

Article publié dans le n°1167 (16 févr. 2017) de Quinzaines

Le critique littéraire s’interroge : a-t-il la compétence nécessaire pour chroniquer un livre dont la lecture le laisse à ce point sidéré ? Car Terreur, sans article, sans déterminant qui l’ancrerait dans la nasse de l’anecdotique, concentré dans l’absolu de son signifiant comme un bloc minéral glacé, est proprement sidérant.
Yann Moix
Terreur
Le critique littéraire s’interroge : a-t-il la compétence nécessaire pour chroniquer un livre dont la lecture le laisse à ce point sidéré ? Car Terreur, sans article, sans déterminant qui l’ancrerait dans la nasse de l’anecdotique, concentré dans l’absolu de son signifiant comme un bloc minéral glacé, est proprement sidérant.

Yann Moix s’est refusé le confort de la fiction pour s’adonner à l’exercice pur de la pensée, déroulant un discours que mobilise de ses seules forces la fonction céré- brale. Pas plus qu’au Monsieur Teste de Valéry la bêtise n’est son fort. L’ouvrage est tout entier tendu par la volonté d’épuiser, d’exténuer le sens de la réalité que les attentats islamistes installent au cœur de notre histoire.

Le djihadisme n’a ni la primeur ni le monopole historique des attentats comme moyen de terroriser l’humanité. Yann Moix décèle une similitude « entre les terroristes anarchistes du XIXème siècle et les terroristes djihadistes du XXIème siècle ». L’objectif est de « provoquer une radicalisation des réactions populaires » propre à engendrer le chaos. Il pointe aussi une grande différence : les anarchistes ciblaient le gratin politique des gouvernants, alors que les djihadistes « ne visent pas les hommes politiques », ils donnent la mort à tout venant, y compris, aveuglément, à ceux de leur camp. C’est que, « pour les islamistes, la culpabilité des victimes est avérée par leur assassinat même. Le terrorisme islamiste consiste à rendre les innocents coupables parle seul fait de les assassiner ». De sorte qu’il n’y a aucune raison que ce massacre cesse, puisqu’il justifie les massacreurs d’exister, de vivre comme de mourir. Selon une argumentation analogue, un Coulibaly (mais tout autant un Merah, les Kouachi) peut avancer la proposition suivante : « Je n’assassine pas quelqu’un parce qu’il est juif : mais quelqu’un est juif parce que je viens de l’assassiner. » Insane pouvoir du barbare, du bourreau : c’est lui qui décide de l’identité de celui qu’il voue au carnage. Ainsi, tous les principes logiques et moraux qui régissent notre existence sont bafoués, anéantis par la guerre déclenchée le 11 septembre 2001 (une tribune signée Yann Moix, parue le lendemain dans Libération, est insérée à la fin du volume sous le titre « Une nouvelle ère de l’humanité », faisant le lien avec les attentats inscrits dans la ligne de l’événement). Par là il est entendu qu’aucun chef d’État ne peut dignement récupérer « cette horrible aubaine », fondée sur l’effectuation de l’impossible advenu.

Ce n’est pas en partisan ni même en polémiste que Yann Moix scrute le phénomène terroriste du djihad, mais en anthropologue qui répond à la radicalité de l’événement par la rigueur, c’est peu dire, par la radicalité de sa réflexion et de son expression. À ceux qui vont répétant « pas d’amalgame », il rétorque que, si au lieu de hurler « Allahou akbar ! » au moment de tuer un enfant juif, Merah avait entonné un refrain des Beatles, il ne viendrait à l’esprit de personne d’aller vérifier si le carnage avait à voir avec une chanson des Beatles. Ce qu’on peut concéder, c’est que le Coran est l’otage de la mauvaise lecture qu’en réalise le tueur, lequel est fondamentalement dénué de cette qualité de l’être humain qu’on appelle la bienveillance. Par ailleurs, apparaît vaine et démagogique la manœuvre intellectuelle qui consiste à recourir à la grille de la lecture économique de la misère pour expliquer, voire rendre acceptable, la terreur islamiste. La barbarie est à son pic, à son pis, quand l’assassin pointe son arme à bout touchant sur l’enfant juif : « La volonté du terroriste est de refermer le monde comme on referme un cercueil. »

L’image fulgurante qui surgit ici nous ramène à la question initiale du paramètre littéraire. J’observe que la quatrième de couverture de Terreur porte, sous une phrase extraite de l’ouvrage, cette unique et sobre mention : « Yann Moix est écrivain. » Je lui en donne acte avec une totale admiration. L’entreprise se déploie en une série d’essais, avançant selon une formidable et pressante parataxe, à la mesure de l’enjeu ontologique. La rédaction s’exécute à coups d’aphorismes, qui cernent, qui vissent l’idée de façon intraitable. On pense aux moralistes classiques, à leur économie de mots : « Le terroriste tue tout ce qu’il touche. » Ou encore : « Le terroriste est capable d’abattre un enfant ; il rompt tous les pactes, sauf avec la mort. » L’appareil de citations (Sénèque, Tocqueville, Nietzsche, entre autres) offre à la méditation un gréement sans frein ni faille.

Ou bien l’essayiste opte pour la reprise, la répétition, l’amplification, comme s’il cherchait, parce qu’il cherche à faire rendre à l’idée toutes ses virtualités, jusqu’à la fascination. C’est alors à Péguy qu’on est tenté de se référer. En vérité, c’est Yann Moix qu’on lit, qu’on entend, en train d’inventer son style, sa langue. Et c’est très fort.

Serge Koster

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