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Hélène contre le Minotaure

Article publié dans le n°1114 (16 oct. 2014) de Quinzaines

Étrangement, cette chronique d’une mort annoncée, repoussée et bien sûr pour finir victorieuse est l’Odyssée de la vie même, la vie férocement, infiniment joyeuse.
Hélène Cixous
Homère est morte
Étrangement, cette chronique d’une mort annoncée, repoussée et bien sûr pour finir victorieuse est l’Odyssée de la vie même, la vie férocement, infiniment joyeuse.

Elle a pour timonier H. C., ainsi que se désigne Hélène Cixoux, ou H., ou simplement Hélène, beau prénom homérique comme l’est celui d’Ariane (Mnouchkine). La mère, l’héroïne, emprunte son prénom au registre plus tardif de la mythologie chrétienne, elle est Ève, la Première, mais elle est ramenée dans le giron de l’Odyssée quand elle est qualifiée par sa fille de déesse.

On ne se lasse pas d’entendre raconter (puisqu’on entend, la voix est là, la voix unique d’Hélène Cixoux) la lente approche de la mort, les luttes minuscules en même temps qu’herculéennes qui la repoussent, lui font échec ; la relation d’Hélène avec Ève, sa mère, et celle d’Ève avec Omi, sa mère à elle une trilogie de femmes qui se sont donné naissance, où les rôles se renversent, Ève-la-mère devient l’enfant, l’enfant Hélène devient la mère (alors que, l’âge aidant, elle est entre-temps devenue grand-mère), celle qui prend soin, console, protège absolument, ce qui n’est pas de tout repos. « Je vis encore pour toi, parce que tu le désires, que tu en as besoin », semble dire la mère. Son « aide-moi ! », devenu sous la plume de l’auteure « aidemoua », signifie-t-il aide-moi à mourir ou aide-moi à continuer à vivre ? C’est la question et le dilemme totalement bouleversant que vit Hélène avec sa mère, et qu’Ève a vécu autrefois avec sa propre mère, Omi.

« Omi demande l’aide à sa fille souveraine. Omi dit : fais-le et ne me le dis pas. Ou bien : donne-moi quelque chose et ne me le dis pas. Ou bien : ne me dis pas, fais. Ève ne fait pas. Dit : j’avais peur que ça me soulage, moi. »

On savoure le récit d’un amour infini, incroyable, mais tout amour ne l’est-il pas ? La mère reste vivante par amour pour sa fille et du coup met la fille en devoir de trancher, ce qu’Hélène ressent comme un pouvoir exorbitant et impossible à assumer. C’est donc Ariane Mnouchkine qui donnera la solution et permettra de s’échapper du labyrinthe : elle tranche, elle autorise : « Fais-le pour elle ». Hélène le fait, c’est-à-dire qu’elle accepte l’éloignement définitif de la mère majuscule. La mère rassurée accepte de partir. Ce qui n’empêche pas, quand tout est consommé, le désespoir et le remords.

Sortir du labyrinthe et accepter qu’advienne la mort, Hélène et Ève le peuvent, elles y parviennent. Mais la mort ne fait rien à l’affaire, la mort n’est ni l’oubli ni la disparition car les cahiers sont là, les cahiers où Hélène prenait note des mots nus, des appels, des moments de plaisir et des cris de souffrance, des menus gestes quotidiens pour maintenir en vie, faire que la vie poursuive son cours, du plus trivial au plus spirituel. Par le moyen de ces balises, de ces notes, de ces dates, Hélène peut écrire le livre, le livre d’Ève-Homère, puisqu’elles sont l’une et l’autre, l’une en l’autre.

On est entré et on ressort de la maison de ces deux femmes, du labyrinthe où règne en maître le monstre qu’est la mort, le Minotaure vaincu par la littérature. La maison reste ouverte à de futures visites, l’arrêt de la vie n’est pas la fin.

Les ouvrages sur la perte d’un être proche et très aimé ne sont pas rares dans la littérature. Hélène Cixoux évoque à différentes reprises ce qu’écrivit Montaigne lorsque mourut La Boétie. Écrire Homère est morte permet une fois encore à Hélène Cixoux de rendre hommage à sa mère, qui fut sage-femme en Algérie, amoureuse de la vie jusqu’à son dernier souffle ou presque, œil pétillant, corps déserté.

Le style aussi pétille et flambe de la joie d’exister et de faire exister, encore, encore, comme dans l’évocation d’une scène au café, où Ève déguste à cent trois ans « un énorme chou de glace et de crème fouettée », un an avant sa mort.

On pense à Proust, dont est nourrie Hélène Cixous. Certains ont eu la chance de l’entendre exposer trois heures durant, sans notes, des analyses magistrales sur l’inventeur de la Recherche.

On pense au film d’Ingmar Bergman Le Septième Sceau, où un seigneur revenu des croisades tient la mort à distance grâce aux parties d’échec auxquelles il la convie, jusqu’à l’instant de distraction qui lui sera fatal.

Hélène contre le Minotaure. Hélène jouant à qui perd gagne sa Recherche. Hélène échec et non pas mat. Homère est morte est tout cela. Un grand livre.

Marie Etienne

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