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L’autorité s’affirme par le trône

Dans les Grands Appartements du château de Versailles, une quarantaine de trônes différents, exceptionnels, se réunissent ; ils dialoguent et ils interrogent les spectateurs. Venus de diverses résidences royales européennes (Madrid, Varsovie…), sortis de l’Asie, de l’Afrique, de l’Amérique précolombienne, les trônes se sont déplacés (1).

EXPOSITION
TRÔNES EN MAJESTÉ
Grands Appartements du château de Versailles
1er mars – 19 juin 2011

 

JACQUES CHARLES-GAFFIOT
TRÔNES EN MAJESTÉ
L’autorité et son symbole
Éd. Château de Versailles/Cerf, 344 p., 230 ill. coul., 49 €

Dans les Grands Appartements du château de Versailles, une quarantaine de trônes différents, exceptionnels, se réunissent ; ils dialoguent et ils interrogent les spectateurs. Venus de diverses résidences royales européennes (Madrid, Varsovie…), sortis de l’Asie, de l’Afrique, de l’Amérique précolombienne, les trônes se sont déplacés (1).

L’autorité s’affirme par le trône. Elle se manifeste. Elle marque. Elle solennise. Elle glorifie. Elle exige l’obéissance, la subordination, la discipline, la fidélité. Les subalternes, les sujets écoutent, plient, s’inclinent.

L’autorité est ici « assise », installée, nommée. Elle s’établit. Elle s’impose. Elle l’emporte. Elle domine. Elle maîtrise.

Comme le précise Jacques Charles-Gaffiot (historien de l’art et spécialiste de l’iconographie occidentale), l’exercice de la souveraineté associe deux notions distinctes : l’autorité (en principe durable) et la puissance (éphémère). L’autorité assure à son titulaire un caractère pérenne et légitime ; elle « assied » son détenteur sur des bases stables. Au contraire, la puissance signifie l’homme debout, dressé, parfois en mouvement, le héros qui écrase les adversaires ; la puissance est victorieuse et éphémère, précaire. Chez les rois francs, dans les peuples celtes (et aussi, à certains moments, dans l’Empire byzantin), le souverain est élevé sur le bouclier, sur le pavois ; il est une figure puissante, érigée, vindicative…

Les trônes sont autoritaires, fermes, altiers, dominateurs, impérieux, supérieurs. Ils n’auraient pas besoin d’employer la force. Les trônes en majesté supposent souvent le gradin, le dais, le marchepied. Le gradin est constitué de plusieurs marches dont le nombre varie (souvent avec des multiples du chiffre trois). Le gradin isole du reste de la foule le souverain qui est plus visible et plus distant. Le dais est confectionné le plus souvent à l’aide de textiles précieux, enrichis de fines broderies. En Orient, un vaste parasol se justifiait primitivement afin de protéger le souverain du soleil et des intempéries et il est devenu l’un des emblèmes de l’autorité. Le marchepied indique la défaite des ennemis, les animaux domptés ; sur une peinture de Louxor, les pieds du pharaon reposent sur le marchepied ; dans certains royaumes actuels d’Afrique noire, tel roi utilise comme marchepied les dépouilles de félins sur lesquelles quatre immenses cornes d’antilopes sont disposées… Parmi les éléments accessoires du trône, les éventails se trouvent chez les Pharaons, à Ninive, en Chine, chez les Aztèques, en particulier, aussi, dans la pompe pontificale. L’éventail de Pharaon est constitué fréquemment de plumes d’autruche réunies en faisceau au sommet d’une hampe…

Très souvent, des animaux stylisés ou fantastiques ornent les trônes. Les bêtes sont des emblèmes du souverain (ou bien elles sont vaincues par les héros et les rois) : très souvent les lions, les pumas, les jaguars, les aigles, les taureaux, les caïmans, les paons, les éléphants, les dauphins, les cygnes, les dragons, les griffons, les sphinx, les tritons, les chevaux marins. L’autorité contrôle, domine la violence des animaux ; elle les apprivoiserait ; elle les utiliserait… Sur le trône, le soleil, la lune, les étoiles sont des ornements ; le souverain est censé gouverner l’univers… Les Vertus glorifient les rois ; les allégories sont des femmes (parfois ailées) : la Paix, la Justice, la Vérité, la Tempérance, la Victoire, la Charité… Les angelots, les putti circulent, sculptés sur les trônes… Les dieux et les déesses, Hercule (avec ses travaux et ses exploits), le roi David, les scènes de Joseph, le triomphe du Christ, les clefs de saint Pierre illustrent les aptitudes du souverain et sa puissance… Les décors floraux, les palmiers, les initiales (comme le N de Napoléon) s’inscrivent sur les trônes.

Quand le souverain part en guerre ou réside dans l’une de ses villégiatures, les trônes mobiles sont transportés et posés sur le sol, d’autres servent de moyens de locomotion et deviennent portatifs.

À Rome, la chaise curule est un siège pliant, originellement réservé aux deux consuls de la République qui sont généralissimes des armées ; ils s’installent alors au cœur des campements militaires. Ce siège métallique présente un piètement en forme de X et son assise capitonnée est rehaussée d’une frange… En France, le trône dit « de Dagobert » est proche de la chaise consulaire ; il est conservé au cabinet des Médailles de la Bibliothèque nationale de France (trône du VIIIe ou IXe siècle)… Les trônes mobiles ne sont pas seulement liés à l’Occident, mais aussi à l’Orient. Par exemple, dans la seconde moitié du XVIe siècle, le Trône de campagne de Soliman le Magnifique est incrusté d’ivoire, de bois, de nacre, de métal et d’une turquoise… Ou bien, un palanquin d’or massif des radjahs de Mysore est arrimé sur le dos d’un éléphant…

À travers de multiples récits, des trônes légendaires hantent les imaginations. Dans la Bible, « le roi Salomon fit un grand trône d’ivoire et le revêtit d’or pur. Ce trône avait six degrés ». Selon Pausanias, le temple de Zeus, à Olympie, était l’une des sept merveilles du monde ; il abritait le trône d’ébène et d’ivoire où s’installait Zeus, une statue d’or et d’ivoire (13 mètres de hauteur)… En 950, le trône de l’empereur de Byzance comprend deux lions métalliques qui rugissent et, sur des rameaux d’or, des oiseaux mécaniques qui imitent des chants… Au XVIIe siècle, un voyageur français admire à Delhi « sept trônes magnifiques d’un Grand Moghol », couverts de diamants, de rubis, d’émeraudes, de saphirs, de perles… En Afrique, dans le royaume Ashanti, on racontait qu’un Tabouret d’or pur descendait du ciel et était apporté au roi…

Parfois, les trônes sont renversés ; l’autorité croule, se ruine. En 1830, des ouvriers pénètrent dans la salle du trône du palais des Tuileries et ils s’assoient, chacun à son tour, sur le fauteuil de Charles X ; puis ils y placent la dépouille mortelle d’un étudiant héroïque. En 1848, le trône de Louis-Philippe est arraché de son piédestal ; il est porté en triomphe sur la place de la Bastille ; on le brûle au pied de la colonne de Juillet.

  1. Historien de l’art, Jacques Charles-Gaffiot est le commissaire de l’exposition intéressante (assisté d’Hélène Delalex). Dans la scénographie, Marc Jeanclos imagine des socles surmontés de structures métalliques ajourées qui encadrent les trônes. Ce sont des « boîtes sans paroi ».
Gilbert Lascault

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