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La Fable de la l'échelle

Article publié dans le n°1001 (16 oct. 2009) de Quinzaines

L’occasion d’évoquer comment je suis entrée dans la « maison » de La Quinzaine m’ayant déjà été donnée, je n’y reviendrai pas mais dirai seulement au passage combien nous manque Anne Sarraute, son efficacité joyeuse, sa lumière, sa chaleur. Et j’en viendrai aux questions graves qui occupent ou devraient occuper tout écrivain, tout critique littéraire : quel est le devenir de la littérature, et comment la défendre dans le chaos que nous vivons ? Quelles sont nos armes, que peut encore notre modeste action ? Que peut encore le valeureux journal auquel je collabore depuis bien des années sous la houlette infatigable du magicien Maurice Nadeau ? Bien entendu, je ne répondrai pas à ces questions, trop écrasantes, je me contenterai de proposer la « Fable de l’échelle », vécue par un idiot, un Monsieur Plume à ma manière.
L’occasion d’évoquer comment je suis entrée dans la « maison » de La Quinzaine m’ayant déjà été donnée, je n’y reviendrai pas mais dirai seulement au passage combien nous manque Anne Sarraute, son efficacité joyeuse, sa lumière, sa chaleur. Et j’en viendrai aux questions graves qui occupent ou devraient occuper tout écrivain, tout critique littéraire : quel est le devenir de la littérature, et comment la défendre dans le chaos que nous vivons ? Quelles sont nos armes, que peut encore notre modeste action ? Que peut encore le valeureux journal auquel je collabore depuis bien des années sous la houlette infatigable du magicien Maurice Nadeau ? Bien entendu, je ne répondrai pas à ces questions, trop écrasantes, je me contenterai de proposer la « Fable de l’échelle », vécue par un idiot, un Monsieur Plume à ma manière.

Cook a rêvé la nuit dernière qu’il était installé tout en haut d’une échelle. Installé ? Pas vraiment, suspendu qu’il était sur la machine instable dont il se demandait comment elle demeurait debout, avec lui de surcroît, cerise planté sur le gâteau.

« Je suis un pauvre idiot qui a peur de descendre, prisonnier des hauteurs, je suis un chat perché, pourtant je ne joue pas, je ne joue pas du tout, visage pâle, farineux et mimique impassible, à me fourrer toujours dans des histoires sottes dont je ne sais pas me sortir, et que j’essaie en vain, à tous petits moyens, de contrôler un peu. C’est pourquoi à mon tour j’escalade l’échelle pour parvenir à voir au-delà de mon nez, je m’assieds crânement, je mets ma main devant mes yeux, le soleil tape, il m’éblouit et je projette mon regard comme une ligne de pêcheur, aussi loin que je peux. Et qu’est-ce que je ramène ? Pas grand-chose il faut dire, j’essaie de deviner, de démêler l’inexplicable, parfois je réussis et parfois, quand les événements sont trop épouvantables, je ne réussis pas, la peur rend tout opaque, elle me bouche les yeux, elle arrête mes circuits.

Ainsi, après le 11 Septembre, plus j’écoutais dans ma radio (je me disais au moins, au moins être content de ça : on nous dit rarement autant de vérités sur les lointains du monde), plus j’accueillais d’informations, moins l’horizon se dégageait. C’est que l’angoisse m’engourdissait, la colère me poussait à jaillir hors de moi, les deux effets contradictoires me rendant bête absolument. Je dois agir, pensais-je, et pour agir d’abord comprendre. Mais je me tenais coi, je continuais à demander à l’horizon muet que je voyais de mon échelle : que se passe-t-il, que se passe-t-il ? En même temps je me disais, reste calme, continue, tu as tes tâches à toi, ne t’en détourne pas, accroche-toi à elles, seul moyen de ne pas oublier ton chemin. Quelqu’un que j’ai connu, qui est mort à présent, un grand homme de théâtre, répétait : quand on range sa chambre on range aussi le monde. Ranger son petit monde à soi, c’est déjà quelque chose, c’est en tout cas ce que l’on peut, alors s’y atteler, après on verra bien, après on verra clair, on pourra commencer à ranger quelque chose du monde. »

Cook croyait fermement à cette vérité, qu’il fallait s’appliquer à se ranger soi-même et accomplir ses propres tâches, de la sorte poursuivre avec le plus grand soin l’ouvrage commencé, même s’il paraît petit, insignifiant, perdu. Continuer par exemple à écrire des poèmes, si on est un poète, à penser des pensées, qui sont insaisissables, à les offrir, comme si de rien n’était, à les dresser dans le silence et ainsi à lutter contre le bruit et l’incompréhension.

Marie Etienne

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