Sur le même sujet

Livres des mêmes auteurs

« La poésie doit échapper à l’emprise du monde matérialiste ». Entretien avec Watson Charles

Watson Charles, né en 1980 à Haïti, a déjà publié plusieurs recueils de poésie : Pour que la terre s’en souvienne (avec Wébert Charles, Éditions Bas de Page, 2010), Lenglensou (Éditions Perles des Antilles, 2012), Plus loin qu’ailleurs (Ruptures, 2013) et Le Chant des marées (Éditions Unicité, 2018). Dans cet entretien, le poète et écrivain évoque son tout dernier recueil, Seins noirs.
Watson Charles
Seins noirs
Watson Charles, né en 1980 à Haïti, a déjà publié plusieurs recueils de poésie : Pour que la terre s’en souvienne (avec Wébert Charles, Éditions Bas de Page, 2010), Lenglensou (Éditions Perles des Antilles, 2012), Plus loin qu’ailleurs (Ruptures, 2013) et Le Chant des marées (Éditions Unicité, 2018). Dans cet entretien, le poète et écrivain évoque son tout dernier recueil, Seins noirs.

Velimir Mladenović : Pourquoi, après votre roman Le ciel sans boussole, être revenu à la poésie ? 

Watson Charles : Je crois que la poésie est inscrite dans le processus de ma création, et qu’elle me permet de revenir à ce que je considère comme l’acte fondateur de la parole humaine. J’ai toujours écrit de la poésie, que je considère comme la forme la plus expressive, la plus pure, car elle traduit l’émotion humaine. Je pense comme Rimbaud que la poésie peut changer la vie, d’où mon irrésistible attachement à elle. On voit bien que Theodor Adorno a eu tort de penser qu’on ne pourrait plus écrire de la poésie après Auschwitz : la poésie d’aujourd’hui est foisonnante, portée par de nouvelles voix de poètes conscients des enjeux esthétiques, sociaux et politiques, et qui portent en eux tout le bruissement du monde.

Je suis étrangement hanté par ces questions : l’écriture poétique ne serait-elle pas ce regard perpétuel porté sur le réel ? la poésie ne serait-elle pas cette voix qui se demande toujours de quoi l’existence est faite ? Je crois que la poésie est l’un des lieux où l’humain tisse le langage jusqu’à l’extrême, jusqu’aux limites. C’est sans doute l’une des raisons qui me pousse à en écrire, à en faire le point par lequel passe toute ma création littéraire. Et dans ce recueil, Seins noirs, il s’agissait de reprendre ces « chants à chanter au-delà des hommes », comme écrit Paul Celan. De dire nos silences, de parler aux mondes. 

V. M. : Le silence est-il le thème prédominant de ce recueil ? 

W. C. : Les thèmes traités dans mes textes sont assez souvent variés. Seins noirs questionne l’existence, évoque les émotions et les blessures intimes. Bien sûr, il y a un « je » qui ne cesse de parler et de faire allusion à une femme, mais cette dernière ne peut qu’être métaphorique. Je pense que j’essaie de faire coexister les thèmes, pour que le texte donne sens à une représentation du monde qui transgresse les codes esthétiques ou idéologiques, qui nous « transcende », au sens cathartique du terme. Le poème recourt aux émotions, et en vérité je crois à la dimension orale du poème, par opposition au poiein grec. 

V. M. : Comment comprendre ce titre, Seins noirs ? 

W. C. : J’ai voulu avant tout jouer sur l’homophonie entre les mots « saint » et « sein ». Mais le recueil n’est pas un simple blason du corps féminin : il est nourri de la situation de l’être humain dans le monde, d’une préoccupation ontologique et anthropologique vieille de plusieurs siècles. Je crois, comme tous les autres poètes, que la poésie est avant tout une réflexion sur le monde, sur le langage, et un lieu qui traduit nos émotions. Je pense que mon recueil n’échappe pas à ces considérations. 

V. M. : La critique compare votre œuvre à celles de Saint-John Perse et d’Aimé Césaire. Qu’en pensez-vous ? 

W. C. : Je suis très touché, car ce sont des poètes éminemment connus, qui ont marqué la littérature mondiale. Il est vrai que je me sens plus proche d’eux que de cette poésie nombriliste qui n’a rien à nous dire. Je suis de ceux qui pensent que la poésie doit échapper à l’emprise du monde matérialiste, que le poète doit réenchanter et réinventer le monde à travers des éléments lyriques ou épiques, qu’il doit revenir à la fonction première de la poésie pour créer une œuvre-monde. Je pense qu’on trouve cet aspect dans l’œuvre d’Aimé Césaire, et peut-être est-ce là ce qui nous rapproche.

Velimir Mladenović

Vous aimerez aussi