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Le peintre et le prophète

 Spécialiste de la culture italienne, Michel Feuillet (1) étudie la coexistence de deux personnalités très différentes en une Florence en effervescence : le dominicain Jérôme Savonarole (1452-1498) et le peintre Sandro Botticelli (1445-1510).
Michel Feuillet
Botticelli et Savonarole. L’humanisme à l’épreuve du feu
(Cerf)
 Spécialiste de la culture italienne, Michel Feuillet (1) étudie la coexistence de deux personnalités très différentes en une Florence en effervescence : le dominicain Jérôme Savonarole (1452-1498) et le peintre Sandro Botticelli (1445-1510).

L’ouvrage érudit et précis de Michel Feuillet examine deux destins croisés, parallèles et opposés : celui du prédicateur éloquent, austère et violent, et celui du peintre élégant qui met en images le néoplatonisme et la culture humaniste que les Médicis ont favorisée.

À tort, il serait trop facile d’opposer le paganisme des tableaux de Botticelli et le triomphe de la Croix de Savonarole, l’humanisme du peintre et l’antihumanisme du prophète de l’Apocalypse. Les deux caractères sont complexes, ambigus.

Trop souvent, certains considèrent Savonarole uniquement comme une religion obscurantiste, inculte et iconoclaste, comme un fanatique, comme un simple destructeur de la culture, un ennemi de la Renaissance et de l’héritage gréco-romain. S’il combat, dans ses sermons, la culture médicéenne, il n’est pas étranger à cette culture ; il cite, dans ses lettres, Virgile ; il emploie la rhétorique romaine. Il maintient longtemps un lien d’amitié avec de nombreux humanistes (Pic de La Mirandole, par exemple).

À un certain moment, Savonarole domine Florence ; il veut instaurer un régime à la fois théocratique et démocratique. Il tente de remanier la Constitution, la justice et les finances. Il veut réformer les mœurs. Il demeure toujours intransigeant. Il y a, en lui, un désir de la « Terreur ». En 1495, il embrigade les enfants pour « corriger » les joueurs d’argent, les « porteurs de vêtements malhonnêtes », les « sodomites » (les homosexuels).

En 1497, le 7 février, à Florence, sur la place de la Seigneurie, à mardi gras, les « gamins du frère Jérôme », regroupés en brigade, brûlent les peintures et les sculptures de nus, les parures, les livres d’amour, les luths, les recueils de poésie, les dés, les cartes à jouer, les onguents. C’est le « bûcher des vanités ». Certains peintres jettent au feu leurs tableaux. Mais (heureusement), Botticelli n’a brûlé aucune de ses œuvres.

Botticelli a, probablement, écouté les sermons de Savonarole. Mais il n’a certainement pas été partisan du frère Jérôme ; il n’a jamais été un piagnone, un « pleurnichard ». En revanche, il semble avoir été ému par le martyre de Savonarole et de deux dominicains, le 23 mai 1498 ; ils sont pendus ; puis leur corps sont brûlés. Tout se passe comme si, peu à peu, cette « conversion » de Botticelli s’était faite lentement avec des résistances, avec des débats intérieurs, selon des modalités complexes, avec des compromis. Il infléchirait son œuvre avec plus de gravité, en particulier La Crucifixion mystique (v. 1500-1505). Il abandonne peu à peu les thématiques païennes au profit des seuls sujets chrétiens.

Et, dans ces dernières années, il peint aussi L’Histoire de Lucrèce (v. 1500-1505) ; ses panneaux narratifs semblent exalter des valeurs républicaines de liberté et d’héroïsme. Selon Michel Feuillet, le prophète Savonarole et le peintre ne se rencontrent jamais. Ils seraient des témoins de la Renaissance novatrice et déchirée par ses contradictions. La Renaissance se manifeste en une perpétuelle crise. Florence invente ; elle prie ; elle choisit parfois la pénitence ; elle se révolte ; elle cherche tantôt le chaos, tantôt l’harmonie.

1. Michel Feuillet est professeur à l’université Jean-Moulin-Lyon-III.

Gilbert Lascault

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