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Les créations crues, brutes, sauvages

À la Halle Saint-Pierre, plus de quatre cents œuvres de quatre-vingt-un créateurs rayonnent : des visions hallucinées, des utopies, les images des prédicateurs surexcités, les jeux de la géométrie affolée et des symétries, les fétiches des rites personnels, le bricolage de matériaux mêlés, les scènes de la violence et du désir.

Exposition

Raw Vision (25 ans d'Art Brut)

La halle Saint Pierre

2, rue Ronsard, 75018 Paris

18 septembre 2013-22 aout 2014

 

Livre-catalogue de l'exposition

Sous la direction de Martine Lusardy et John Maizels

Halle Saint Pierre, 368 p., 40€

À la Halle Saint-Pierre, plus de quatre cents œuvres de quatre-vingt-un créateurs rayonnent : des visions hallucinées, des utopies, les images des prédicateurs surexcités, les jeux de la géométrie affolée et des symétries, les fétiches des rites personnels, le bricolage de matériaux mêlés, les scènes de la violence et du désir.

Ici, à Paris, le vingt-cinquième anniversaire d’une revue anglo-saxonne, Raw Vision, fondée en 1989 par le peintre John Maizels, est célébré. Raw Vision est basée à Londres. La revue rassemble des œuvres hors normes, créées en Europe, aux États-Unis, en Amérique du Sud, en Asie, en Afrique.

Raw Vision… Venues d’ailleurs, surgissent des créations crues, loin de toute cuisine, de toute manigance, de tout académisme, de tout conformisme, loin de la culture aliénante et obsolète. Se révèlent les créations brutes, sauvages, âpres, rudes, insoumises, rebelles, indépendantes, indociles, rétives, réfractaires. Réagissent les singuliers, les exclus, les autodidactes qui n’ont pas connu les enseignements traditionnels de l’art, certains handicapés, ceux qui appartiennent à des minorités, des marginaux, ceux qui vivent au bord de la société, parfois ceux qui ont été enfermés dans les hôpitaux psychiatriques et dans les prisons, ceux qui choisissent la pensée sauvage et la désobéissance. La revue Raw Vision explore un « autre côté » des recherches habituelles de l’art ; elle découvre une face naguère cachée de l’invention neuve et insolite ; elle veut donner à voir des zones de merveilles artistiques et de prodiges à contre-courant.

Apparaissent des sculpteurs inattendus. André Robillard (né en 1932) construit sans cesse des fusils complexes et imaginaires, des spoutniks, des engins spatiaux ; il assemble (à l’aide de scotch et de fil de fer) des boîtes de conserve ouvertes, des ampoules usagées, des objets rouillés, des tuyaux en plastique, des fragments de bois, des tubes, des roues, des manivelles. À dix-neuf ans, Robillard a été enfermé dans un hôpital près d’Orléans ; depuis une soixantaine d’années, il y vit et crée. « J’ai eu une belle vie, pleine de rencontres, de merveilles, de surprises. » Et il imagine des mitraillettes qui ne tuent pas, des armes symboliques et inoffensives… Ou bien, en Inde, le sculpteur Nek Chand (né en 1924) s’établit en 1950 à Chandīgarh ; il est inspecteur des routes pour le département des travaux publics ; il achète un terrain et le défriche. Chaque soir, il prend une bicyclette ; il ramasse des pierres qui seraient « dotées d’âmes », des pierres dans les contreforts de l’Himalaya. Dans la nuit, il crée plusieurs centaines de dieux, de déesses, d’animaux, qui se dressent dans des terrasses, dans des chemins sinueux… Ou encore, un autre sculpteur indien, Pradeep Kumar (né en 1973), sourd de naissance, partiellement muet, cisèle et colore des allumettes et des cure-dents ; il représente des dieux, des femmes en sari, des oiseaux ; il a reçu de multiples prix… Ou encore, Michel Nedjar (né en 1947) crée des poupées-fétiches terribles ; elles consistent en chiffons, en paille, en coquillages trempés dans des bains de teinture, en terre, en ficelles, en nœuds… Ou aussi, François Monchâtre (né en 1928) utilise le bois, le plomb, les miroirs, les mouvements mécaniques ; il invente des « Automaboules », des « machines poétiques », des « accidents à la bibliothèque »…

Certains créateurs peignent des géométries délirantes, les jeux de la symétrie, l’obsession des chiffres. Par exemple, en Écosse, John Danczyszac (né en 1954) découvre un logiciel capable de générer mathématiquement des images à partir de ses peintures originales ; avec ce procédé, il a réalisé des dizaines de milliers d’œuvres. Ou bien, Adolf Wölfli (1864-1930) a été interné pendant une trentaine d’années, d’abord en prison, puis dans un hôpital psychiatrique près de Berne. Il multiplie des notes de musique, des visages cernés de noir, les avenues et les carrefours d’une cité, des portails, des cryptes, des « clochers-de-luxe », des textures (à chevrons, d’écailles, de briques, etc.), des anneaux, des cloches, des fontaines, des montres. Il est, à la fois, un vaurien, un malade de la Waldau, un empereur et « Saint Adolf »… Ou encore, Eugène Andolsek (1921-2008) crée des dessins kaléidoscopiques complexes avec le compas et des encres colorées.

Tels peintres représentent des corps amoureux. Aloïse (1886-1964) peint les peintres et les princesses, les seins ronds, les grosses lèvres rouges, les longs cheveux, les couronnes… Ou bien, Malcolm McKesson (1909-1999) dessine le masochisme des hommes liés et fouettés… Dans les Rocheuses du Colorado, Renaldo Kuhler (1931-2013) invente un pays imaginaire qui se nomme Roccaterrania et les jeunes filles sportives se séduisent…

À Chicago, Henry Darger (1892-1973) dessine des héroïnes, les « Vivian Girls » qui combattent contre des ennemis. Portugais, José Dos Santos (1904-1996) sculpte des hommes avec leur phallus gigantesque.

Un certain nombre de ces créateurs sont des prédicateurs, des prophètes, des astrologues. Ils ont connu des visions (ou des hallucinations). Certains mêlent à leur œuvre la Bible, des croyances afro-américaines ; ils regardent des gravures de Dürer et des œuvres diverses de la Renaissance ; ils tracent des textures variées, des graphismes différents… Par exemple, en Angleterre, Donald Pass (1930-2010) représente des milliers d’âmes qui s’élèvent près des anges qui seraient des sentinelles ailées.

Gilbert Lascault

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