A lire aussi

Les Parisiennes modernes, les flâneurs, l'Impressionnisme

Perspicace, cette exposition séduisante rassemble une soixantaine d’admirables tableaux (Manet, Monet, Renoir, Degas, Caillebotte, Tissot, Stevens…), une cinquantaine de vêtements et d’étoffes, des chapeaux, des ombrelles, de nombreuses gravures de mode, de multiples photos (par exemple celles de Disderi). Surgissent les silhouettes et les allures des femmes et des hommes de 1860 à 1880.

EXPOSITION

L'IMPRESSIONNISME ET LA MODE

Musée d'Orsay

25 septembre 2012 - 20 janvier 2013

Livre-catalogue de l'exposition

Musée d'Orsay/Skira-Flammarion, 320 p., 209 ill. coul., 45 €

 

PHILIPPE THIÉBAUT

et FRANÇOISE TÉTARD-VITTU

L'IMPRESSIONNISME ET LA MODE

Numéro spécial

Textes français et anglais

Musée d'Orsay/Skira-Flammarion, 64 p., ill. coul., 8 €

 

PHILIPPE THIÉBAUT

LES IMPRESSIONNISTES ET LA MODE

Gallimard, coll. « Découvertes », 8 modules, 50 ill., 8,40 €

Perspicace, cette exposition séduisante rassemble une soixantaine d’admirables tableaux (Manet, Monet, Renoir, Degas, Caillebotte, Tissot, Stevens…), une cinquantaine de vêtements et d’étoffes, des chapeaux, des ombrelles, de nombreuses gravures de mode, de multiples photos (par exemple celles de Disderi). Surgissent les silhouettes et les allures des femmes et des hommes de 1860 à 1880.

Les peintres (en particulier Manet, Monet), les écrivains, les journalistes sont des flâneurs désinvoltes et minutieux qui observent « la métamorphose journalière des choses extérieures », que Baudelaire décrit. En 1863, Baudelaire étudie les dessins de Constantin Guys ; il note : « la modernité, c’est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l’art, dont l’autre moitié est l’éternel et l’immuable. (…) La femme est sans doute une lumière, un regard, une invitation au bonheur, une parole quelquefois ; mais elle est surtout une harmonie générale, non seulement dans son allure et le mouvement de ses membres, mais aussi dans les mousselines, les gazes, les vastes et chatoyantes nuées d’étoffe dont elle s’enveloppe (…). La femme a inventé une élégance provocante et barbare, ou bien elle vise, avec plus ou moins de bonheur, à la simplicité usitée dans un meilleur monde. Elle s’avance, glisse, danse, roule avec son poids de jupons brodés qui lui sert à la fois de piédestal et de balancier (…). Elle porte le regard à l’horizon comme la bête de proie, même égarement, même distraction indolente, et aussi, parfois, même fixité d’attention »… Tu vois, par exemple, La Loge (1874) de Renoir, La Lecture (1865) de Manet, Nana (1877) de Manet.

Chez les impressionnistes, chez James Tissot (1836-1902), mais aussi chez les dessinateurs des journaux de mode, les Parisiennes règnent. Octave Uzanne (La Femme à Paris, 1894) célèbre leur pouvoir : « Les Parisiennes sont les sultanes de l’Occident. Elles passent prestes, légères, coquettes et radieuses, sous les yeux de l’amateur, comme des houris dans le ciel de Mahomet. » Libre, au bois de Boulogne, l’une des femmes marche, « l’une des mains soutenant le poids de sa traîne, tandis que l’autre joue avec le manche de son ombrelle ». Le Nouveau manuel complet de la bonne compagnie (1863) conseille la bonne attitude de la Parisienne : « Il faut prendre garde à ne poser le pied que sur le centre du pavé, et jamais sur les bords, car on glisse inévitablement dans l’intervalle d’un pavé à l’autre ; il faut commencer par appuyer la pointe du pied avant le talon, même quand la boue est très considérable, on ne doit appuyer le talon que fort rarement. Une femme doit relever agréablement sa robe un peu au-dessus de la cheville. »

Les Parisiennes fascinent sans cesse ceux qui les décrivent et les peignent. Dans ses Notes sur Paris, Hippolyte Taine regarde les robes des femmes ; il est enthousiaste : « il y a un goût, un choix dans la pose et le reflet de chaque ruban satiné, dans les soies roses, dans le doux satin argenté, dans le mauve pâle, dans la douceur des couleurs tendres, attendries encore par des enveloppes de guipures, par des bouillons de tulle, par des ruches qui frissonnent ». Parfois, les Parisiennes choisissent le blanc. Ainsi Zola (Au Bonheur des dames, 1883) évoque le déballage des blancs variés : « le blanc s’envolait avec la transparence des rideaux, devenait de la clarté libre avec les mousselines, les guipures, les dentelles, les tulles surtout, si légers qu’ils étaient comme la note extrême et perdue ». Ou bien, Les Parisiennes préfèrent le noir. En 1878, Renoir peint le Portrait de Madame Charpentier et de ses enfants. Dans son salon, Marguerite Charpentier, épouse de l’éditeur Georges Charpentier (qui a édité en outre la revue La Vie moderne), porte une robe noire ; la traîne de la robe laisse voir des volants blancs du jupon.

La mode passionne des femmes très différentes ; leurs styles, leurs mœurs, leurs sentiments sont variés, changeants. Dans La Vie moderne (1879), le directeur de la publication précise : « Toutes les femmes ne sont pas nécessairement des aventurières, toutes les grandes dames des gourgandines et l’amour de l’intérieur n’est pas l’apanage des classes pauvres. » Et, en 1868, Jules Castagnary regarde des tableaux du Salon de 1868 ; il remarque sans préjugés : « Une dame à sa table de travail n’est pas nécessairement une vertu, si simple que soit sa toilette. Une dame devant son miroir n’est pas nécessairement une courtisane, si luxueuse que soit sa robe. » Alors, une nouvelle Parisienne est d’abord une femme à la mode ; elle peut être une femme du monde, titrée ou grande bourgeoise, ou bien une actrice, ou encore une femme entretenue. Et les belles élégantes évoluent dans les sphères artistiques parisiennes. Elles ont du chic.

Un tableau de Manet s’intitule Nana (1877). Une actrice (Henriette Hauser) se maquille. Elle se dresse avec son corset de satin bleu ciel, jupon blanc, bas de soie bleus, escarpins à talon gauche. À côté d’elle, un visiteur (ou un amant) est assis sur un canapé. Le tableau a choqué. Mais Manet affirme alors : « Le corset de satin, c’est peut-être le nu de notre époque. » À la fin du XIXe siècle, le corset triomphe ; la mode exige une taille de guêpe. Rigide, le corset est un vêtement secret et érotique. Vers 1855, environ 10 000 ouvrières travaillaient dans l’industrie de la corseterie. D’après une estimation officielle de 1861, il se vendait plus d’un million de corsets par an… En 1877, Huysmans écrit : « L’aristo­cratie du vice se reconnaît au linge. La soie, c’est la marque de fabrique des courtisanes qui se louent cher. » Et un journaliste est fétichiste : « Une femme en corset est un mensonge, une fiction ; mais, pour nous autres, cette fiction est mieux que la réalité »…

À côté des Parisiennes, les hommes circulent et les rencontrent. À la fin du XIXe siècle, à l’Opéra, passent les hommes en frac. Dans La Vie moderne (1882), le journaliste René Delorme est ironique : « Un habit, c’est laid. Deux habits, c’est plus laid. Mais rien ne dépasse en laideur une réunion de plusieurs milliers d’habits noirs. Je me suis demandé parfois, par suite de quelle aberration inexplicable, notre génération osait se montrer sous ce funèbre costume dans le merveilleux décor du palais de Charles Garnier. » D’autres critiques d’art sont moins maussades : « le XIXe siècle n’est pas si laid qu’on veut bien le dire. (…) Si un peintre a de l’audace et un peu de génie, il fera un chef-d’œuvre avec nos habits noirs, nos paletots ». Au XIXe siècle, dans une valse (par exemple, une danse de Renoir) s’opposent le noir et blanc des habits masculins et le chatoiement soyeux des robes. Les « hommes civilisés » sont les seuls accompagnateurs des femmes qui chantent la symphonie du blanc, du rose, du vert, « avec toutes les modulations de demi-teintes créées par l’industrie »… Directeur des Beaux-Arts et fondateur de la Gazette des Beaux-Arts, Charles Blanc (L’Art dans la parure et dans le vêtement, 1875) note : « L’homme abandonne aux femmes la couleur, il devient lui-même incolore et sombre »… Et, pourtant, les hommes portent parfois (en particulier, dans la campagne) des vêtements plus clairs. Sur les bords de la Seine, dans les guinguettes, les aristocrates, les bourgeois, les cousettes, les demi-mondaines, les sportifs ont leurs chapeaux de paille. Manet (Argenteuil, 1874) évoque la liberté de la séduction et de la douceur… Un certain nombre d’artistes sont élégants. À la campagne et à la ville, Manet était invariablement vêtu d’un veston (ou d’une jaquette serrée à la taille) et d’un pantalon clair ; il se coiffait d’un chapeau très élevé à bords plats. Et, quand Frédéric Bazille peint, en 1867, un portrait de Renoir, il est décontracté, désinvolte et attentif ; sa jaquette noire est ouverte, avec un pantalon gris sans revers… Les artistes apprennent à flâner mieux ; ils observent les changements du temps.

Tu rêves, souvent, aux journaux de mode, à des magazines du XIXe siècle, à ceux du XXe siècle et d’aujourd’hui. Anatole France a écrit : « S’il m’était permis de choisir dans le fatras de livres qui seront publiés cent ans après ma mort, savez-vous celui que je prendrais ? Non, ce n’est point un roman. Je prendrais tout bonnement un journal de modes pour voir comment les femmes s’habilleront un siècle après mon trépas (1). » Et, tu écoutes la chanson Frou-Frou (1897) : « Frou-frou, frou-frou / Par son jupon la femme / Frou-frou, frou-frou / De l’homme trouble l’âme… » ❘

  1. Cf. le catalogue intelligent de cette exposition, p. 272.
Gilbert Lascault

Vous aimerez aussi