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Balthus, Lacan (1978), des poètes (Bernard Noël, Claude Minière), des philosophes et historiens de l’art (Damisch, Marc Le Bot, Lyotard, Pleynet, Denis Hollier), des conservateurs de musée (Dominique Bozo, Dominique Cordellier, Marie-Laure Bernadac, Claire Stoullig, Isabelle Monod-Fontaine, Bernard Blistène), des critiques d’art ont observé les peintures de François Rouan (né en 1943). Ils les décrivent ; ils les admirent.

EXPOSITION

FRANCOIS ROUAN : TROTTEUSES

Maison de la culture d'Amiens

Place Léon Gontier 1800 Amiens

 

FRANCOIS ROUAN

TROTTEUSES

Notes d'atelier

Maison de la culture, Amiens, 80 p., 17 €

Balthus, Lacan (1978), des poètes (Bernard Noël, Claude Minière), des philosophes et historiens de l’art (Damisch, Marc Le Bot, Lyotard, Pleynet, Denis Hollier), des conservateurs de musée (Dominique Bozo, Dominique Cordellier, Marie-Laure Bernadac, Claire Stoullig, Isabelle Monod-Fontaine, Bernard Blistène), des critiques d’art ont observé les peintures de François Rouan (né en 1943). Ils les décrivent ; ils les admirent.

Très souvent, Rouan tresse et tord l'espace. Sa peinture construit et déconstruit. Elle suggère les caresses d'une chair désirée, les plis et les replis d'un corps féminin, les cheveux nattés et dénoués, les volutes, les boucles, les enroulements, les figures énigmatiques.

Rouan inscrit sur une surface les hiéroglyphes, les traits et les taches, les hachures, les ratures, les lettres illisibles, les odalisques flottantes et mêlées, les messages mystérieux. Il donne à entendre le « chant de l’arabesque » dont parle Henri Matisse.

En 2010, Rouan note : « Je veux tenir ensemble la question de la nudité et du décoratif. [...] Dans le nu, il y a aussi le désir de rejoindre une certaine vérité. » Selon lui, l'univers serait un puzzle géant. Sa recherche artistique est logique et sensuelle, rigoureuse et charnelle. La volupté et la mélancolie se tressent.

Aujourd'hui, à Amiens, deux séries de François Rouan sont exposées. Quatorze toiles immenses (180 x 149 cm, 175 x 298 cm) s'intitulent Trotteuses (2011-2013) ; Rouan peint à l'huile sur toiles tressées. Douze oeuvres (50 x 49 cm) se nomment Diaphane (2013) ; Rouan choisit le tirage argentique sur film transparent Bergger et la peinture à la cire. Apparaît aussi le film Trotteuses.

Les Trotteuses sont des femmes (des modèles) et des figures du temps. Tu lis les « Notes de l'atelier » (2013). Les deux aiguilles de l'horloge tournent ; elles avancent. Les deux jambes longues d'une femme sont deux aiguilles ; elles se rapprochent et s’écartent ; elles dissimulent une fente et la révèlent. Rouan évoque une fente « ourlée », une « béance ouverte », la « motte rougissante du sexe ». Les aiguilles sont des trotteuses.

Tu écoutes les trois femmes qui se nomment Una, Due, Tre. Tu entends les soupirs, les cris, les rires. de notre destin. Chez les Grecs, Clotho, Lachésis, Atropos sont douces et redoutables. Dans un article sur le « thème des trois coffrets », Freud signale les relations essentielles de l’homme aux femmes : la génératrice, la compagne, la destructrice. La dernière est la sœur de la mort... Le peintre désigne une élue : « il m’a désignée pour vider son atelier / je dois être l’exécutrice testamentaire ». Elle annonce : « je suis son héritière / c’est sa dernière volonté »...

Le peintre choisit les toiles qu’il va utiliser. Le peintre est Ulysse. Il y a la longue machination de Pénélope : « Alors, de jour elle tissait la grande toile et la nuit elle défaisait son ouvrage à la lueur des flambeaux. » Chez Rouan, la peinture est un tressage perpétuel, commencé, recommencé, inlassable. Rouan tresse des corps. Une femme n’oublie pas « le souvenir des bouclages irrépressibles / de nos corps enlacés ».

Les toiles du peintre sont voisines des vêtements des modèles qui s’habillent et se déshabillent. « Due, drapée dans sa fierté muette, s'échappe ». L’une dit : « il faut que je blottisse mon cœur dans des voiles / c'est superficiel mais ça m'excite ». Et l’autre murmure : « je t’ai apporté toutes mes fringues / ma lingerie canaille que tu aimes tant / prends ce que tu veux » ; elle est « hypnotisée par des catcheuses à roulettes / par des mini shorts qui passent et repassent ».

Pour Rouan, « le corps est féminin comme l’expérience du tableau : buter, entrer, mettre à distance ». Il regarde « la mise en scène sautillante des corps ». Le peintre avait besoin des modèles : « s’il aimait la compagnie des femmes / c’était pour saisir dans leur regard / dans l’éprouvé sensible de chacune com-­ rendre l’objet méconnaissable ». Car l’objet peint est « méconnaissable », toujours inconnu et fascinant. Les modèles trottent. Trotter...

La Fontaine a évoqué « la gent trotte-­menu ». Les souris et les minutes trottent menu ; elles grignotent le temps, la vie, le travail ; elles les rongent ; elles les mordent ; elles consument ; elles corrodent. La gent trotte-­menu énumère les graines, les instants ; elle compte ; elle égrène ; elle dresse l’inventaire...

Ou bien, telle femme désire sa nudité qui séduit le peintre : « Moi j’aime qu’il me voie nue / et je ne suis jamais assez nue ». Une autre femme (ou la même) « cherche avec une ardeur désordonnée ». Elle murmure : « je tremble à l’intérieur / c’est comme si / mes pieds remontaient dans ma gorge ». Et ce serait parfois « la sauvagerie de tes désirs »... Parfois, « Tre apporte, pour la joie, le champagne, les fraises et la crème ».

Fantasme. S’achève la dernière nuit du peintre. L’une des amantes-­modèles raconte : « cette dernière nuit / on a bu / fumé et baisé / avant de s’endormir jusqu’au petit matin / il s’est levé pour aller boire un verre d’eau / il est revenu très doucement / m’a embrassée / avant de s’écrouler la face contre le matelas / il détestait dire au revoir / c’était un adieu / [...] / J’ai tiré la porte et je suis sortie ». Les deux jambes longues d’une femme seraient deux aiguilles de l’horloge ; ce seraient, peut-­être, des pinceaux doux.

Ou bien, une autre série d’œuvres de François Rouan s’intitule Diaphane (2013). Vous entrevoyez le sexe d’une femme, ses lèvres séductrices, ses nymphes qui se déploient comme des ailes de papillon, comme des voiles flottantes. Le sexe serait la corolle d'une fleur inverse, une corolle irisée, lumineuse.

Dans La Quinzaine littéraire, Bernard Noël, Marc Le Bot, Olivier Kaeppelin, Gilbert Lascault ont écrit sur Rouan.

Gilbert Lascault

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