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Phébus reprend son souffle. Entretien avec Nils Ahl et Louis Chevaillier

À l’occasion des quarante ans des éditions Phébus, La Nouvelle Quinzaine littéraire a rencontré Nils Ahl et Louis Chevaillier, qui y sont respectivement, depuis le printemps dernier, directeurs du domaine de littérature étrangère et du domaine de littérature française. Fondée en 1976 par Jean-Pierre Sicre, cette maison a été reprise en 2003 par le groupe Libella que préside Vera Michalski, impulsant au catalogue une nouvelle dynamique.
À l’occasion des quarante ans des éditions Phébus, La Nouvelle Quinzaine littéraire a rencontré Nils Ahl et Louis Chevaillier, qui y sont respectivement, depuis le printemps dernier, directeurs du domaine de littérature étrangère et du domaine de littérature française. Fondée en 1976 par Jean-Pierre Sicre, cette maison a été reprise en 2003 par le groupe Libella que préside Vera Michalski, impulsant au catalogue une nouvelle dynamique.

NQL : Il semble légitime, en commençant cet entretien, de citer les noms de ceux qui ont contribué à façonner le visage de Phébus (Jean-Pierre Sicre, Jane et Robert Strick, René R. Khawam, Michel Le Bris, Daniel Arsand, Lionel Besnier…) et de vous demander simplement comment vous vous situez par rapport à vos prédécesseurs. 

Nils Ahl : Phébus est une maison qui s’est créée, développée, parce qu’elle avait une très forte personnalité. Cette personnalité tenait bien sûr à son fondateur, mais c’était, c’est une maison qui a une personnalité en tant que telle. Tout l’enjeu de ces dernières années a été de continuer Phébus en essayant d’y mettre des énergies nouvelles sans pour autant qu’elle perde son identité. Aujourd’hui, avec les quarante ans, nous sommes à un moment plus radical d’injection d’énergies nouvelles, notamment parce qu’il existe une coupure et une séparation avec Libretto qui n’a pas été effective pendant des années[1]. Ce qu’on recherche finalement, c’est de retrouver cette énergie qui a toujours été dans Phébus. Mais on essaie de la trouver en 2016. On a les goûts qu’on a. On est tous les deux plus jeunes que Phébus (moi, c’est à quelques mois près !). La question des hommages est une question en fait qui ne me parle pas, ou plus, quand j’élabore un programme. 

Louis Chevaillier : Phébus a connu un moment de gloire, fait d’importantes découvertes, ouvert un chemin dans la littérature française, en réinscrivant des livres de littérature dite populaire – littérature d’aventures, de voyage – dans le patrimoine de la littérature. Mais ce fait désormais est accepté et cela n’a plus de sens pour nous de répéter la même chose. On ne pourrait d’ailleurs pas le faire. Il y a le côté solaire de Phébus qui nous attire. Il y a aussi cette conception du récit avec des personnages, d’une littérature incarnée, d’une littérature qui n’est pas trop mentale, d’une littérature de l’ouverture. Le grand large, qui peut prendre la forme du voyage, mais qui ouvre encore vers différentes contrées. L’aventure en général. Il s’agit d’une littérature qui malaxe la langue, mais qui reste limpide, d’une littérature à la fois exigeante, mais qui ne pèse pas. Cette littérature de la grâce est une des choses que je cherche à développer dans le domaine français. 

NQL : Dans le texte de présentation du programme d’août-octobre 2016 que vous avez co-signé, on reconnaîtrait une tonalité propre à Phébus. L’allusion au capitaine Haddock, à Cendrars, et jusqu’à l’exclamation finale (« en route ! »), invitent le lecteur à un voyage, à devenir une sorte de « bourlingueur ». Pourquoi ? 

N. A. : Nous sommes des lecteurs de Phébus, avant d’être des éditeurs de Phébus. Et comme nous sommes aussi des lecteurs de Phébus, nous sommes des lecteurs hypocrites, très malhonnêtes, dans le sens où nous avons nos livres préférés et qu’il y a également des livres qu’on n’a pas lus ou qu’on n’a pas aimés. Mais ce qu’on a retenu de Phébus, c’est cet élan-là, et pour moi c’est quelque chose qui a à voir avec un élan de la jeunesse. La jeunesse n’a pas d’âge. Elle est un souffle de vie. 

L. C. : La référence à Cendras est là aussi pour rappeler que c’est une littérature qui nous parle, qui désire influencer le contemporain, qui s’adresse à des lecteurs d’aujourd’hui. Cela se voit dans l’actuelle programmation, qui est peut-être un peu plus ouverte qu’avant à des problématiques sociales. C’est compliqué à dire. Les Roses blanches de Gil Jouanard ou Apaise le temps de Michel Quint sont des livres qui s’inscrivent franchement dans une vision du monde d’aujourd’hui. 

N. A. : On pourrait aussi citer le nouveau Joseph O’Connor (Maintenant ou jamais), qui est pourtant un auteur de Phébus depuis longtemps, ou Six mois dans la vie de Ciril de Drago Jančar. Je ne sais pas si c’est exactement neuf, mais nous, c’est ce que nous sentons qu’il faut que Phébus fasse. Quand Phébus faisait de la « littérature populaire » il y a trente ans, on faisait du roman de mer, du roman d’aventures classique. Aujourd’hui, ça n’aurait pas de sens de refaire du roman de mer pour faire du roman de mer. C’est logique. Du coup, toutes les lectures qu’on a eues du catalogue sont réinterprétées. 

NQL : Justement, parmi les titres du catalogue, quels sont ceux qui ont marqué le plus votre passé de lecteur ? 

L. C. : Ce sont plus des amours de lecteur. J’ai par exemple un amour pour le Paris de Jean Follain qui est un auteur que j’admire et qui n’a pas sa place, qui est sous-estimé.

N. A. : Je retiendrais les traductions de Hoffmann ou la republication de la traduction de Moby Dick par Armel Guerne. En même temps, dans ces années, on a publié chez Phébus les premiers romans de T. C. Boyle. Ce qui veut dire quelque chose. Ce sont les deux pieds de Phébus qui ont perduré par la suite. 

L. C. : Il y a eu Marcel Béalu, André Dhôtel, et ce n’est pas anecdotique, car c’est un goût à la fois pour le fantastique et pour le quotidien, une façon de réenchanter le quotidien, qui n’est pas du tout une façon de le prendre au pied de la lettre.

NQL : On devine entre vous une certaine complicité, des affinités dans votre manière de travailler, d’envisager la littérature… 

L. C. : Cette manière de travailler est importante pour nous. Déjà, en revenant à une maquette commune, nous ne voulions pas que les deux domaines soient distinguables. Chacun évidemment est responsable de ses titres, mais nous sommes portés par une vision à peu près semblable. De plus, dans le domaine français, la littérature que j’aime est une littérature qui se soucie peu des frontières. Il y a des auteurs qui ne sont pas forcément des auteurs « français ». Ils écrivent pour un public mondial. Du moins, je l’espère. 

N. A. : J’aime bien l’idée que les auteurs français sont des auteurs étrangers comme les autres… 

L. C. : Un livre comme celui de David Boratav, Portrait du fugitif, aurait pu être écrit par un auteur latino-américain. 

NQL (à Louis Chevaillier) : En quoi votre expérience de poète, car vous écrivez de la poésie, influe, influera-t-elle sur votre travail d’éditeur ? 

L. C. : Quand nous lisons des manuscrits, notre jugement s’exprime en fonction de la vision qu’on a de la collection et en fonction de notre goût, qui a été façonné par nos expériences. Cela dit, le métier d’éditeur, c’est la capacité de prendre de la distance par rapport à ses propres goûts. C’est les connaître suffisamment pour arriver à se rendre compte que nos propres goûts sont également nos mauvais goûts. Si je suis sensible à la langue, aux rythmes, pour moi, le roman, ce sont des personnages, et je distingue la poésie et le roman. C’est au fond parce que j’aime la poésie que je suis particulièrement attentif à ce que les romans soient de véritables romans. 

N. A. : C’est bien joué ça. (Rires) Il faut en effet se méfier de ses propres goûts… 

NQL (à Nils Ahl) : Quels liens établir entre votre activité de critique (vous êtes connu pour vos articles dans Le Monde des livres) et votre travail d’éditeur ?  

N. A. : Lorsqu’on a été critique littéraire…

NQL : Mais vous poursuivez cette activité.

N. A. : Pour éviter tout conflit d’intérêt éventuel, je ne m’occupe plus de littérature étrangère, sauf cas exceptionnels. Mais comme c’est une activité que j’aime beaucoup et que j’estime être aussi une forme de littérature, je continue à publier, plus rarement, des textes de critique. Être critique de littérature étrangère, c’est assez proche du travail d’éditeur de littérature étrangère. Cela dit, la liberté que j’avais, en tant que critique, de choisir mes amours ou mes détestations, je ne l’ai plus chez Phébus. J’ai une équipe, une histoire, une identité à respecter, j’ai un catalogue à construire, avec des auteurs qui doivent se parler comme en famille. Ce que cette activité m’a apporté en revanche, c’est une ouverture à des littératures qui sont parfois du bout du monde, et il se trouve que c’est aussi la mission que m’a confiée Vera Michalski : que Phébus s’ouvre, qu’on respire. 

NQL : Reprendre son souffle en quelque sorte.

N. A. : Paradoxalement, dans la période la plus récente de Phébus, c’est comme si c’était la période d’expiration, où le souffle est long, où, si je puis dire, on souffle la bougie, puisqu’il y a eu des prix, d’importants succès en littérature étrangère. Le moment serait donc venu en effet de « reprendre souffle » et d’aller vers de nouveaux territoires. Phébus a pour vocation de s’occuper du monde entier. C’est dans son ADN. Pendant un temps, il a été nécessaire que le souffle se concentre. Mais, maintenant, on doit voir plus large, reprendre le large.  

L. C. : Bénissons alors l’expiration et l’inspiration… 

[1] La collection de poche « Libretto », qui existe depuis 1998 et que dirige actuellement Éric Lahirigoyen. 

Jean-Pierre Ferrini

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