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Plume et pinceau

Article publié dans le n°1061 (16 mai 2012) de Quinzaines

La palette et l’écritoire. Le dialogue n’a jamais cessé, sous des formes variées : la plume en tête, ou le pinceau. Deux acteurs, ou un seul jouant les deux rôles, peintre et écrivain. Plusieurs livres parus simultanément s’offrent à nous, fondés sur le seul plaisir pris à ces rencontres.
Paul Valéry
Journal de bord (Pagine)
Miquel Barcelo
Cahiers d'Himalaya (Le Promeneur)
Keith Haring
Journal (Flammarion)
Hélène Cixous
Le voyage de la racine Alechinsky (Galilée)
La palette et l’écritoire. Le dialogue n’a jamais cessé, sous des formes variées : la plume en tête, ou le pinceau. Deux acteurs, ou un seul jouant les deux rôles, peintre et écrivain. Plusieurs livres parus simultanément s’offrent à nous, fondés sur le seul plaisir pris à ces rencontres.

« Alechinsky entre en art par la racine. » C’est la première phrase d’Hélène Cixous, imprimée sous la photo d’une de ces racines. À la page suivante du livre, nous voyons ce qu’en a fait, ce qu’en fera le peintre.

À la marche d’Alechinsky, Hélène Cixous n’a pas seulement accommodé son pas. Le titre même de son livre signe son appropriation : Le Voyage de la racine alechinsky. Le nom de l’artiste est adjectivé. Un nom propre qui, sous la plume de l’écrivain, ne l’est plus. Elle l’a en partage. Et, peut-être, sommes-nous conduits à regarder à neuf l’art d’Alechinsky.

Ce peintre est lui-même écrivain. Dans la bibliographie du catalogue de l’exposition d’Aix, Alechinsky, les Ateliers du Midi, il y a deux ans, dans lequel a été publiée la première partie de ce Voyage, la liste des écrits d’Alechinsky couvre deux pages : plus de quarante ouvrages depuis 1950. Des ouvrages dont tout, depuis le titre, s’inscrit dans notre mémoire.

Pour Hélène Cixous, l’entrée dans l’art d’Alechinsky est libre. Sa main est celle de l’écrivain : ce que peint Alechinsky « c’est l’en-mouvement des êtres ». Ce qui est commun au peintre et à l’écrivain, nous l’avons nous aussi en commun. À partir de la racine d’où le « génie » du peintre est issu : « c’est un vieux bout de racine conservée dans une boîte pleine de temps depuis la haute époque de ses premiers commencements. J’en ai le souffle coupé. La racine dort. Veille. Brunâtre. Ridée. Dessiccée. Je regarde la racine. Elle respire. On dirait son père. On dirait ma mère. »

On citerait bien des pages de cette encre écrite par Hélène Cixous. L’écrit et les images ensemble. On trouve ce dialogue dans cet ouvrage admirablement mis en pages. On y saisit ce fil conducteur : « Être sensible à l’effacement, faire le portrait impossible des images, traits, ondes, que la vie laisse derrière elle en s’en allant de l’autre côté. »

L’autre côté, Keith Haring (1958-1990), ce fut, à 32 ans, le sida qui l’y a conduit. Un visage d’ange, un regard aux abois. C’est une des très rares illustrations de ce Journal tenu par cette star, entre autres activités, du Street Art. Dans cet épais volume est rassemblé ce que Keith Haring a noté depuis ses 19 ans, sa vie quotidienne. On y a des surprises. Je retiens celle-ci : en 1977, lors d’une exposition à Pittsburgh il découvre Alechinsky : « Je n’en ai pas cru mes yeux !… De tout ce que j’avais vu, c’était ce qui se rapprochait le plus de ce que j’étais en train de faire avec toutes ces petites formes qui s’engendraient d’elles-mêmes. J’ai soudain ressenti un afflux de confiance. »

Miquel Barceló, Catalan (né à Majorque), artiste célèbre, parcourt la planète. Mapamundi lui a donné corps. Il voyage, il tient son journal. Mots et figures, voici, composés au mieux, Cahiers d’Himalaya.

Paul Valéry était plus familier du temps que de l’espace. Il se levait avant l’aube, notait dans ses Cahiers des aphorismes, dessinait la main qui les avait écrits, retenait à l’aquarelle les couleurs du fugitif, les étapes du parcours d’un ballon sur la plage proche… Notre regard va de la page de droite à la page de gauche : « le temps n’existe qu’à chaque instant ou plutôt que par instants se faisant sentir comme différences et formes de différences ».

De la plume ou du pinceau, quel est l’instrument le plus apte à saisir et à rendre cette forme ?

Georges Raillard

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