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Un lieu de délices et de méditation

À Mantoue, de 1525 à 1535, Jules Romain (Giulio Romano, 1499-1546) crée le Palais du Te, une gigantesque structure complexe qui rassemble des chambres, des salles, des jardins. Les murs et les voûtes sont transformés par les stucs et les peintures hétérogènes qui les envahissent (1).
Ugo Bazzotti
Palais du Te. Mantoue
(Seuil)
À Mantoue, de 1525 à 1535, Jules Romain (Giulio Romano, 1499-1546) crée le Palais du Te, une gigantesque structure complexe qui rassemble des chambres, des salles, des jardins. Les murs et les voûtes sont transformés par les stucs et les peintures hétérogènes qui les envahissent (1).

Tour à tour, tu découvres la Salle des Chevaux, la Chambre de Psyché, la Chambre des Vents, la Chambre des Aigles, la Loggia de David, la Chambre des Stucs, la Chambre des Empereurs, la Chambre des Géants, le Camerino (petite chambre) de Vénus, le Camerino des Grotesques, la Chambre des Candélabres, la Chambre des Cariatides, la Chambre des Victoires, le Jardin secret, la Grotte.

Peintre, admirable dessinateur, architecte, décorateur, Jules Romain imagine un itinéraire rythmé par de brusques transformations spatiales ; il varie sans cesse les couleurs intenses, la blancheur de certains stucs, des feuilles d’or, les matières diverses, les proportions différentes, les atmosphères inattendues.

Jules Romain a été le disciple favori de Raphaël. Selon Giorgio Vasari (Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, 1550), il était « profond, fier, sûr, inventif, varié, abondant, complet. Causeur agréable, il était gai, affable, gracieux et d’excellentes manières ». En 1542, L’Arétin (1492-1556), qui se considère comme le « secrétaire du monde », écrit, avec éloge, à Jules Romain : « Vous êtes grand, admirable en art. (…) Parmi ceux qui touchent le compas et le pinceau, vous êtes le premier au monde par l’invention et la beauté. Apelle et Vitruve ne diraient pas autre chose, s’ils voyaient les constructions et les peintures que vous avez projetées et réalisées dans cette ville [Mantoue], embellie et magnifiée par l’esprit de vos idées antiquement modernes et modernement antiques. »

En particulier, le Palais du Te serait « antiquement moderne et modernement antique ». Jules Romain étudie sans cesse les recherches de Leon Battista Alberti, Raphaël, Michel-Ange ; il regarde les œuvres grecques et romaines. Il se révèle classique et maniériste. Il choisit la virtuosité, l’audace des raccourcis, les jeux de la perspective, les récits mis en images, l’invention permanente… Il imagine les grands ensembles ; il les réalise. Et il n’oublie jamais les détails. Il sait être un grand maître d’œuvre ; il dirige le chantier.

Au XVIe siècle, le Palais du Te se situe à l’extérieur des murs d’enceinte de Mantoue. En 1524, sur les conseils de Baldassare Castiglione, Jules Romain quitte Rome pour Mantoue. Se rencontrent le peintre et Frédéric II de Gonzague, marquis de Mantoue. Frédéric de Gonzague possédait une terre et des écuries en un lieu appelé le « Te », où paissaient les chevaux et juments des Gonzague. Le prince et l’artiste font, alors, une sortie à cheval. Frédéric manifeste un désir modeste : que ce bâtiment soit transformé sans démolitions, pour accueillir à l’occasion des repas et offrir des moments de détente. Jules Romain relève le défi. À partir d’une simple indication reçue, il construit un palais merveilleux qui doit englober les murs préexistants.

Dès 1525, le chantier commence. Peu à peu, Jules Romain rassemble cent seize travailleurs, depuis les manœuvres du plus bas niveau jusqu’aux peintres, sculpteurs, stucateurs, doreurs. Selon les archives, la paie des artistes principaux est rarement plus du double de celle d’un maçon.

Alors, grâce à un travail de dissimulation et de reconstruction, Jules Romain superpose à la vieille ossature un palais impressionnant et harmonieux à la manière des palais prodigieux que les belles découvrent dans les contes féeriques.

Or, dans cet endroit, on ne retrouve ni pierre, ni carrière « pour tailler les pierres des murs selon l’usage habituel ». Selon Vasari, Jules Romain « se servit de briques qu’il recouvrit de stucs. De ce matériau, il fit des colonnes, des bases, des chapi­teaux, des corniches, des portes, des fenêtres (…), des niches richement ornées ». Le Palais du Te est un lieu de délices et de méditations. Il est construit « pour le simple plaisir du prince » et aussi pour la joie et l’étonnement de l’empereur Charles Quint qui va venir à Mantoue (en 1530 et en 1535).

Dans le Palais du Te, le marquis Frédéric de Gonzague (qui deviendra duc en 1530) et Charles Quint méditent et dialoguent. Charles Quint « se retira dans la Chambre des Vents ; il y « raisonna » pendant une heure publiquement avec un cardinal ; il loua hautement ces chambres ; Sa Majesté voulut comprendre l’ensemble avec précision ». Les images de la Chambre des Vents illustrent la division du temps, les signes du zodiaque, l’influence des astres sur le destin des hommes.

Éblouissante, somptueuse, la Chambre de Psyché glorifie la puissance d’Éros, les désirs, les épreuves des amoureux, leurs jouissances. À la fin de la fable, Psyché (devenue immortelle grâce à une coupe d’ambroisie) et Amour se marient sur l’Olympe. Tous les dieux sont présents et Vénus est enfin apaisée… Dans la Loggia de David, le roi David et Bethsabée deviennent amoureux comme Frédéric II de Gonzague et son amante adorée, Isabelle Boschetti. Dans le Palais, trois emblèmes reviennent : la salamandre, l’Olympe, le bosquet.

La Chambre des Géants bouleverse. Les Géants sont vaincus par Zeus et les dieux, de même que les traîtres et les conspirateurs. Vasari décrit la Chambre des Géants : « On ne peut concevoir peinture plus horrifiante, plus effrayante et plus vraie. Quiconque entre dans la pièce et voit les fenêtres et les portes et tout le reste se tordre et sembler sur le point de tomber, les montagnes et les édifices prêts à s’écrouler, ne peut échapper à la crainte d’en recevoir des morceaux sur le dos (…). Cette peinture n’a ni commencement ni fin ; elle ne fait qu’un et se continue si bien, sans terme ni ornement intermédiaire, que les objets proches des constructions paraissent très grands et les lointains où sont les paysages, perdus dans l’infini. » Et les Géants punis et terrifiés fuient en un tourbillon.

  1. Le texte d’Ugo Bazzotti est passionnant et précis. De 1995 à 2009, il a été directeur du Palais du Te.
Gilbert Lascault