A lire aussi

Livre du même auteur

Une affaire de coeur

Peter-Stephan Jungk
Le coeur électrique
Il y a dans l’écriture de Peter-Stephan Jungk un constant mélange de constatation froide et d’auto-ironie teintée d’apitoiement amusé sur soi. C’est qu’il n’est pas toujours facile, il est v...

Il y a dans l’écriture de Peter-Stephan Jungk un constant mélange de constatation froide et d’auto-ironie teintée d’apitoiement amusé sur soi. C’est qu’il n’est pas toujours facile, il est vrai, d’être celui qu’on est et ce n’est pas seulement vrai pour le personnage central de ce roman. On avait déjà pu le constater dans La Traversée de l’Hudson, où tous les personnages sont montrés avec humour, ils boitent dans leur vie et prennent plus ou moins de fausses directions.

Dans Le Cœur électrique, autofiction cardiologique, le personnage qui, visiblement, est l’auteur lui-même, parle de lui à la première personne, certes, mais surtout en tant qu’objet des opérations, des trajets, séjours divers et « amours » fugaces qui l’agitent. On l’expédie de Berlin à Vienne (Hôpital général, chambre individuelle – bien sûr – D 205) ou de San Diego à Londres, en passant par le Mount Sinai Hospital sur la Cinquième Avenue. Tout est chic et comme il faut et on voyage dans la « classe affaires ».

Les hôtels sont très bien, entre deux vernissages le Beverly Hills à Los Angeles vaut bien le King David de Jérusalem. Max David Villander, c’est ainsi que se nomme ce cardiopathe, peut même se livrer à des entretiens plus ou moins inquiets avec son cœur. Cela donne parmi les pages les plus alertes du livre.

On le trimbale et le roule de-ci de-là, d’Amérique à Paris en passant par la Suisse ou la gare d’Austerlitz, à proximité de laquelle il s’expose à des ennuis de cœur puisqu’il se raconte en train de tomber éperdument amoureux (cela va de soi) de la belle factrice marocaine, lui le dramaturge européano-cosmopolite, d’origine juive. Cela donne d’assez jolis dialogues et force chiches-kebabs. Voyons !

Ce périple opératoire mène tout à travers l’Europe de la Kulture, de la brave Panthère de Rilke aux problèmes cardiaques de Gustav Mahler ou l’inverse, on apprend beaucoup de choses, tout au long de voyages plus ou moins sanitaires, sur les scalpels, les incisions, les valves mitrales ou l’eurythmie. Au bout du compte, le malade (en chambre particulière) est sauvé par une sommité de la chirurgie cardiaque internationale qui s’est dérangée exprès pour ce patient exceptionnel. En même temps, une profonde et réelle angoisse, et qui ne tient pas seulement de la cardiologie, une inquiétude de vivre est comme l’âme secrète de ce récit, qui n’est qu’en apparence « mondain » et un peu « m’as-tu-vu ».

Tout cela est heureusement raconté sur un ton mi-badin, mi-sérieux, un peu dans la tradition du Chevalier d’industrie Felix Krull de Thomas Mann ou de sa Montagne magique car la littérature de langue allemande sait aussi (parfois) ne pas se prendre au sérieux ou le feindre, ce qui n’est déjà pas si mal. Cela donne une langue ironique et subtile que le traducteur Alban Lefranc a parfaitement rendue.

Georges-Arthur Goldschmidt