Ils ne sont pour rien dans mes larmes lie en effet les réflexions de spectateurs anonymes et l’écriture de l’auteur qui les écoute. Ces anonymes racontent quel film a changé leur vie, et pourquoi. Les uns sont entrés dans une salle pour oublier, d’autres pour se retrouver, à travers l’écran, avec eux-mêmes. Ainsi, celle qui a vu La Nuit américaine de Truffaut a-t-elle voulu devenir scripte au cinéma, celle qui a vu Les 400 Coups du même Truffaut a-t-elle senti ce que pourrait être le métier d’éducatrice. Et puis il y a celles ou ceux pour qui, visiblement, l’émotion a primé, pour qui Le Dernier Tango à Paris ou Trois couleurs, rouge ont été des révélateurs. Plus délicate, l’histoire de Denis découvrant Nuit et Brouillard, « film dont on n’a pas trop envie de raconter l’histoire ».
Le cinéma, tel que le racontent ces spectateurs qui nous ressemblent, est un art puissant, peut-être parce qu’il ne tient pas au récit qu’on en fait. Comme le dit l’un d’eux, « Quand on est habité par l’art cinématographique, on est plus fort que ses échecs, on croit qu’on pourra par sa seule générosité plier le monde à ses désirs ». Il a quelque chose d’enfantin, qualité que peu d’arts ont. C’est un moment de possession, mais qui possède qui ou quoi ?
Le livre ne se résume toutefois pas à ces témoignages. Comme souvent dans ses romans, Olivia Rosenthal entre à l’oblique, fait son chemin dans ce qu’elle raconte, à moitié cachée mais pas assez pour qu’on l’oublie totalement. Et cela fait le charme ou la force de ce style mystérieux et éclairant. En prologue comme en épilogue, à travers hésitations ou approximations (apparentes), répétitions et affirmations, elle parle de sa relation avec l’écran, avec la salle obscure et le film. En l’occurrence, Vertigo de Hitchcock qui est plus pour elle qu’un film à suspense ou que l’histoire d’une fascination amoureuse. « Le cinéma nous plonge dans des souvenirs que nous avions cru vaincre et qui reviennent. » On comprendra pourquoi en lisant ce prologue.
Le cinéma est une histoire personnelle, ancrée dans le passé de la narratrice auteur. De même, elle ne peut pas voir Les Parapluies de Cherbourg sans pleurer toutes les larmes de son corps, selon la belle expression qu’on devrait parfois prendre au pied de la lettre. Le film de Jacques Demy a quelque chose de bouleversant, d’intemporel et on ne sait pourquoi les pauvres retrouvailles de Guy et Geneviève à la fin du film sont aussi bouleversantes. Le mensonge sur quoi elles se fondent peut-être ? Nous laisserons au lecteur le soin de s’interroger. Ce qui est certain, c’est ce qu’on lit dans l’épigraphe du livre : « On peut vivre par procuration des choses incroyablement douloureuses. »
Norbert Czarny
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