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Une puissance d'interrogations

Article publié dans le n°1060 (01 mai 2012) de Quinzaines

« La seule chose qu’on devrait s’interdire avec la littérature, c’est d’en être fatigué, parce qu’alors on commence à renoncer à la vérité. Et quand on renonce à la vérité, c’est comme par hasard le moment où on commence à expliquer aux autres ce qu’il faut faire. » Ainsi s’exprime Tanguy Viel dans la discussion avec Arno Bertina et Pierre Senges qui clôt "Fins de la littérature", ouvrage qui rassemble des contributions variées sur le thème d’un possible déclin.
Dominique Viart
Laurent Demanze
Fins de la littérature. Esthétiques et discours de la fin, tome 1
« La seule chose qu’on devrait s’interdire avec la littérature, c’est d’en être fatigué, parce qu’alors on commence à renoncer à la vérité. Et quand on renonce à la vérité, c’est comme par hasard le moment où on commence à expliquer aux autres ce qu’il faut faire. » Ainsi s’exprime Tanguy Viel dans la discussion avec Arno Bertina et Pierre Senges qui clôt "Fins de la littérature", ouvrage qui rassemble des contributions variées sur le thème d’un possible déclin.

Ce terme de déclin, employé par Todorov, Millet ou Maingueneau et quelques autres, est une scie dont Alexandre Gefen raconte la vieille histoire. Annoncer la fin de la littérature commence avec Juvénal, se poursuit avec Voltaire et ne s’arrêtera pas avec Renaud Camus. Les raisons de la prophétie existent cependant, et dans le texte qui ouvre le recueil, Dominique Viart les énumère et les analyse. Le contexte économique est la première. Publier un livre coûte cher, les lecteurs se raréfient ou font des choix peu littéraires. Les mutations techniques jouent également leur rôle. Mais si nos déclinologues parlent de fin de la littérature, c’est à la littérature française qu’ils pensent. Et le contexte géopolitique leur donne en partie raison. Le français n’est plus la langue universelle qu’il était encore dans les années cinquante et la France, puissance moyenne, se débat dans les crises comme ses voisines européennes. Enfin, l’état de l’éducation et de la culture ne pousse pas à l’optimisme. Il est vrai que le technicisme introduit dans les études de lettres dès le collège n’incite guère à lire…

Mais les explications n’empêchent pas les auteurs de ce recueil de dire ce qu’ils pensent de ce discours et de signifier leur foi dans le contemporain, d’en montrer la vitalité. Comme l’écrit Bertrand Leclair, « la littérature n’a pas de fin, toujours expirante, toujours inspirante : elle est une respiration ». On lui reproche de trop fréquenter la bibliothèque ? Elle le revendique. Arno Bertina souligne avec justesse l’influence vivifiante de Michon, Sebald, Bolaño et Vila-Matas. On la dit solipsiste, nihiliste et formaliste ? Les exemples de François Bon, de Volodine ou de Mauvignier, parmi tant d’autres, montrent que le monde, l’histoire, les hommes ne sont pas absents des romans d’aujourd’hui. Romans ? Pas si sûr.

Dans un article très intéressant, John Taylor explique que dans le monde anglo-saxon l’appréhension de la littérature française est devenue difficile pour deux raisons au moins. D’abord, elle n’obéit aujourd’hui à aucun classement : plus de groupes, d’écoles, de courants. Ensuite, parce que la prose se mêle à la poésie, que le genre romanesque n’est plus aussi cloisonné qu’il l’était. Et il est vrai qu’en lisant, au hasard, Patrick Deville, Olivia Rosenthal ou Nathalie Léger, on oscille entre des genres bien divers. La mention du genre n’apparaît pas toujours en couverture. Chez les Anglo-Saxons, le partage entre fiction et non-fiction est net, déterminant à bien des égards. Seule constante française, longuement analysée par Claude Burgelin : l’importance du « Je ». Mais dans une telle variété d’usages qu’on ne saurait là non plus opérer de strict classement.

Bref, l’état des lieux plutôt vivant et optimiste que brossent ces fins de la littérature (sans point d’interrogation en couverture, mais avec en pages intérieures) donne envie de lire toutes les contributions pour répondre à certains discours souvent pénibles.

Norbert Czarny

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