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La pourpre, les muscles, le sang

Les peintres du XIXe siècle donnent à voir la grandeur et la décadence de l’Empire romain, les temples grecs, la séduction de l’Égypte ancienne, le pourpre, les muscles des gladiateurs, les jeux sanglants du cirque, les orgies de la mélancolie, les empereurs pervers et féroces, leurs morts, les événements historiques, les allégories des dieux de la Grèce, la vie quotidienne, la culture, les terribles derniers jours de Pompéi…
Dimitri Caron-Lanfranc De Panthou Casali
L'antiquité éternelle par les peintres
(Seuil)
Les peintres du XIXe siècle donnent à voir la grandeur et la décadence de l’Empire romain, les temples grecs, la séduction de l’Égypte ancienne, le pourpre, les muscles des gladiateurs, les jeux sanglants du cirque, les orgies de la mélancolie, les empereurs pervers et féroces, leurs morts, les événements historiques, les allégories des dieux de la Grèce, la vie quotidienne, la culture, les terribles derniers jours de Pompéi…

Les peintres du XIXe siècle sont habiles, érudits. Ils sont des décorateurs, des metteurs en scène. Ils représentent des spectacles, les tragédies du pouvoir et de son écroulement. Ils aiment les détails méticuleux. Ils voudraient proposer des illustrations de la culture gréco-romaine, de sa mythologie, de ses victoires et de son épuisement… Une partie des tableaux du XIXe siècle se révèle rhétorique, grandiloquente, emphatique, boursouflée, cocasse. Pourtant, cette peinture te fascine, te trouble. Ces artistes imaginent des lieux de l’Antiquité, ses architectures, ses objets précieux, les gestes des héros et des victimes, leurs postures, leurs démarches, leurs décisions.

Dans ces peintures, les foules se multiplient. Dans Les Sabines (1799) de David, des groupes de soldats romains et sabins semblent s’arrêter ; leurs lances pointées vers le ciel suggèrent la quantité des combattants ; et au premier plan, s’exprime la réconciliation des Sabins et des Romains… Ou bien, dans les immenses cirques de Rome, des milliers de spectateurs se réunissent et se réjouissent devant les jeux de la cruauté. L’Espagnol Ulpiano Checa peint La Naumachie (1894). Le Hongrois Alexandre von Wagner représente le public agité devant La Course de chars (1882). En 1907, Lawrence Alma-Tadema donne à voir le Colisée ; il est fier d’avoir peint lui-même 2 500 personnages minuscules ; il fournissait une loupe aux admirateurs du tableau qui s’intitule Caracalla et Geta ; l’œuvre serait le prologue du meurtre annoncé (plus tard) de Geta qui sera égorgé par Caracalla.

Dans l’Antiquité, la mort revient ; les violences, les viols, les assassinats, la terreur, la douleur et la piété recommencent… Lucrèce se poignarde après le viol… David peint en 1789 la tristesse du consul Brutus qui accepte la mise à mort de ses propres fils… En 390 avant J.-C., une horde gauloise envahit Rome, la pille, l’incendie ; et le chef Brennus s’empare de cinq Romaines nues, enchaînées : Brennus et sa part du butin (1893) de Paul Joseph Jamin, une des femmes est allongée près de deux têtes coupées… Karl Theodor von Piloty peint L’Assassinat de César (1865)… Ou bien, un tableau de Canabel s’intitule Cléopâtre testant ses poisons sur des condamnés (1887)… Lawrence Alma-Tadema représente le Meurtre de Caligula (1871)… Le tableau du Polonais Henryk Siemiradzki est gigantesque (27 m2) et s’intitule Néron et les torches chrétiennes (1876)… Ou bien, les Romains incendient le Temple de Jérusalem et massacrent. Titus ne parvient pas à maîtriser ses soldats. Selon l’historien Flavius Josèphe, « sur les degrés du Temple, le sang coulait à flots ; et les corps de ceux que l’on venait de massacrer roulaient d’une marche à l’autre »…

Si les peintres du XIXe siècle privilégient assez souvent les côtés de la décadence, de la corruption de l’Antiquité, ils proposent aussi des images de l’harmonie, de la sagesse, de la création artistique. Dans tel tableau de Lawrence Alma-Tadema, Phildias montre à Périclès une frise du Parthénon. Dans un autre, Pythagore et ses disciples admirent le soleil levant face à la mer. Ou bien, dans une autre œuvre, Homère (avec sa lyre) récite l’Iliade. Et encore, David peint la mort de Socrate (1787). Pour les peintres du XIXe siècle, la Grèce paraîtrait plus civilisée, plus raffinée, plus raisonnable que Rome. 

Gilbert Lascault