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Les griffes, les dents aiguës, les tentacules

Dans cet ouvrage élégant, les monstres menacent, se glissent dans les pages, griffent, mordent, ricanent. Leurs dos se hérissent. Leurs queues ont une forme serpentine. Leur peau est tantôt gluante, tantôt rugueuse. Ils ont plusieurs têtes. Ils sont parfois des êtres composites. Ils grouillent. Ils envahissent les pays lointains.
Christopher Dell
Monstres. Un bestiaire de l'étrange
(Seuil)
Dans cet ouvrage élégant, les monstres menacent, se glissent dans les pages, griffent, mordent, ricanent. Leurs dos se hérissent. Leurs queues ont une forme serpentine. Leur peau est tantôt gluante, tantôt rugueuse. Ils ont plusieurs têtes. Ils sont parfois des êtres composites. Ils grouillent. Ils envahissent les pays lointains.

Sur certaines pages du livre, les mailles d’un grand filet de pêche attrapent les bêtes dispersées du Bizarre. Les foules des cyclopes, des minotaures, des sirènes, des dragons (de l’Orient et de l’Occident), des dieux à tête de chien, des loups-garous, des ogres, des trolls, des harpies, des diables, des pieuvres géantes traversent les cinq continents, dévorent les humains. Hésiode, dans La Théogonie (v. 700 avant notre ère) : « C’est Chimère qui vomit des feux invincibles, la terrible, la rapide, l’indomptable Chimère. Elle a trois têtes, une de lion, une de chèvre sauvage, une de serpent… »

Dans cette maquette séduisante du livre, les monstres sont un peu apprivoisés (peut-être trop apprivoisés). Souvent, ils sont comiques. Au Japon, au XVIIIe siècle, se dessine le Cortège nocturne des cent démons.

Aux féroces s’opposent les monstres gentils. Un farfadet japonais nettoie la salle de bains des hôtes, pendant qu’ils dorment… En Extrême-Orient, les dragons sont en général bienveillants ; ils ont (souvent dans les sculptures et les peintures) des cornes de daim, des yeux proéminents, un corps de serpent, des griffes de faucon, des oreilles de vache ; ils comporteraient (dit-on) 117 cailles composées de 81 écailles yang et de 36 écailles yin. Si les dragons occidentaux ont parfois deux pattes, tous les dragons orientaux ont quatre pattes. Même si les dragons chinois et japonais crachent parfois le feu, ils sont en général liés à l’eau et ils commandent aux nuages et aux orages…

Avec leurs grimoires, avec des incantations, les sorcières et les magiciens fréquentent des démons et peuvent se métamorphoser en animaux… Les manuels d’alchimie détaillent des « recettes » illustrées par des images (des dragons, des humains hermaphrodites)… Un démonologue aurait énuméré 4 439 556 démons qui seraient divisés en 666 légions ; chaque légion se composerait de 6 666 démons. Les créatures monstrueuses surgissent dans Les Tentations de saint Antoine, dans l’Enfer, dans le Jugement dernier. Bosch, Breughel, Grünewald, Dirk Bouts, Jan Van de Velde, les dessinateurs japonais, les sculpteurs romans présentent le débordement des formes monstrueuses, leur pullulement, le tourbillon… Sur une vignette un dragon vert tient un gantelet dans sa gueule (1608)… Ou bien, les Japonais proposent, vers 1820, le Guide de douze sortes de « kappa ». Ces « kappa » sont des esprits des eaux, différents ; certains ont des carapaces, d’autres ont un bec de canard, d’autres encore ressemblent un peu à des grenouilles ; ils sont très courtois ; ils rendent parfois des services aux fermiers ; ils mangent parfois la chair humaine, mais aussi le concombre ; ils regardent aussi le corps d’une femme sous le kimono ; et des humains luttent contre les kappas…

Dans bien des récits étranges et équivoques, les monstres inquiètent et amusent.

Dans les œuvres, les héros combattent contre les monstres : Héraclès, Thésée, Œdipe, saint Michel, saint Georges, un samouraï courageux, Siegfried. Et, sans cesse, les monstres sont tués et ressuscitent. Dans ce livre, Christopher Dell cite une phrase de Friedrich Nietzsche (Par-delà le bien et le mal) : « Quand on lutte avec des monstres, on doit veiller à ne pas devenir soi-même un monstre. »

Gilbert Lascault

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