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La Mort toujours recommencée

 Le musée Maillol réunit plus de 150 figures macabres : des peintures, des sculptures, des photographies, une mosaïque, une vidéo, des bijoux. Toujours, la Mort est recommencée.

EXPOSITION

C'EST LA VIE ! (VANITÉS DE POMPÉI À DAMIEN HIRST)

musée Maillol-Fondation Dina Vierny

61, rue de Grenelle, Paris 7e

3 février - 28 juin 2010

 

PATRICIA NITTI, CLAUDIO STRINATI et coll.

C'EST LA VIE ! (VANITÉS DE POMPÉI À DAMIEN HIRST)

Livre-catalogue

Skira-Flammarion, 300 p., 185 ill. coul., 40 €

 Le musée Maillol réunit plus de 150 figures macabres : des peintures, des sculptures, des photographies, une mosaïque, une vidéo, des bijoux. Toujours, la Mort est recommencée.

La Mort rebondit, redouble, revient, se métamorphose. Tantôt, elle angoisse, elle tourmente, elle se tord, agressive, cruelle, tragique. Tantôt, elle s’apaise, douce, souriante, et elle est une amie, une sœur.

Les Vanités évoquent la puissance de la Mort, notre fragilité humaine, le monde menacé, l’éphémère, les plaisirs fugitifs. Tu relis la Bible, l’Ecclésiaste : «  Tout est vanité et poursuite de vent. (…) Il y a un moment pour tout et un temps pour toute chose sous le ciel. Un temps pour enfanter et un temps pour mourir… » À travers les siècles, dans les civilisations différentes, les Vanités s’expriment selon des styles opposés, en des matériaux hérérogènes ; elles proposent des réflexions variées, des émotions mêlées (1).

Dans une mosaïque de Pompéi (découverte en 1874), sur un fond vert clair, un crâne s’appuie sur les ailes déployées (aux couleurs vives) d’un papillon éphémère. Au-dessous du papillon, une roue signifie les changements de la Fortune, du Destin. À gauche, le manteau de pourpre indique le pouvoir et la richesse ; à droite, le vêtement et la besace, déteints par la pluie, signalent la pauvreté. Au-dessus du crâne, se dresse l’équerre du charpentier (avec un fil à plomb). Cette mosaïque est un avertissement, un conseil. Les Romains prononçaient : « Omnia Mors aequat » (la mort aplanit tout) ; « Carpe diem » (cueillir le jour, profiter de l’instant) ; « Jouis tant que tu es en vie, le futur est incertain » ; et « La jouissance est un bien suprême »… L’équerre du charpentier serait le fronton d’un tombeau.

Ou bien, Jean-Michel Alberola (né en 1953) utilise le néon pour dessiner le contour du crâne et pour inscrire le mot : rien. Le néon annonce le néant et affirme la vie vaine et le vide des projets.

Actuellement, célèbres, riches, intelligents, provocants, souvent controversés, certains artistes anglais inventent les crânes étincelants, clinquants. Ils appartiennent à la « Cool Britannia », à la YBA Generation (Young British Artists). Ils seraient des croque-morts avantageux, des emballeurs de refroidis, des corbeaux conquérants, des fossoyeurs fastueux. Ils profitent de l’argent et le raillent, complaisants et moqueurs. Damien Hirst (né en 1965) aurait, dans sa jeunesse, travaillé dans une morgue. Il expose, à un moment, une vache et un requin, sciés en sections verticales, conservés dans d’immenses vitrines en acier et en verre, remplies de formol. En 2007, il confie à un joaillier le sertissage de 8 601 diamants sur un crâne en platine. Cette œuvre d’art contemporaine (la plus chère jamais réalisée par un artiste vivant) a été vendue cent millions de dollars à un groupe d’investissement privé en 2008. Dans l’exposition actuelle, Damien Hirst présente des œuvres : un demi-crâne humain sur lequel se collent des milliers de mouches (noires et brillantes) et une sérigraphie « avec glacis et poussière de diamant sur papier »… Autres artistes anglais, les deux frères inquiétants, Jake et Dinos Chapman (qui ont été les assistants de Gilbert et George) créent un crâne (en bronze peint) qui grouille de vers, de mouches, d’araignées. Alors, les insectes tenaces et implacables envahissent les os humains et ils gagnent…

En 1988, un an avant sa mort, le photographe Robert Mapplethorpe, malade du sida, propose son Autoportrait. Il tient fermement sa canne dont le pommeau est un crâne. Ce serait le sceptre funèbre, en un désir de créer encore.

Assez souvent, les artistes ironiques choisissent l’humour noir. Ils jouent avec le destin et narguent la Mort. Le sculpteur suédois Erik Dietman imagine, vers 1990, une balance de justice : les deux plateaux sont deux poêles à frire où sont posés un crâne d’homme et un crâne de singe ; le fléau est formé par deux fémurs croisés… Ou bien, Daniel Spoerri réunit un tapis oriental, un squelette humain et son fusil ; l’image de la lionne (représentée sur le tapis) aurait peut-être mangé le chasseur… Ou encore, Serena Carone (née en 1958) recouvre un crâne de paquets bleus de Gauloises : Crâne Gauloise (1991) ; sur le front de la tête de mort, des casques ailés se dessinent ; « Fumer rêve » et ne tue pas forcément… Ou aussi, Christian Boltanski anime, en 2009, un théâtre vacillant d’ombres ; tu entrevois un diablotin qui danse et taquine une grande tête chevelue… Ou bien, Nicolas Rubinstein (né en 1964) ajoute à une tête de mort les deux grandes oreilles de Mickey et son nez. La figure de la puissante Mort a la drôlerie de la petite souris… Ou aussi, Annette Messager sculpte en 1999 un crâne souple (constitué par des gants tricotés) et hérissé de crayons de couleur, de piques multicolores. Annette crée un ex-voto macabre qui exorcise les peurs enfantines. Annette affirme : « Mon œuvre est contre la mort. C’est une façon de faire la nique à la mort. Je joue avec toi, la Mort, mais tu ne m’auras pas encore cette fois-ci. »

À travers les siècles, la Mort se dissémine en des bijoux précieux et variés. L’or, l’argent, le corail, les diamants, l’émail, les perles célèbrent la Mort. Elle les multiplie sur les bagues, les bracelets, les colliers, les pendentifs ; elle enchaîne ; elle ligote. Par des pendants d’oreilles, tu écoutes les murmures de la Camarde. Depuis 1866, à Venise, les Codognato, maîtres joailliers, burinent et sculptent les blasons de la Faucheuse… Naguère, les motards, les Hell’s Angels avaient des bagues massives et méchantes… Robert Malaval (1937-1980), un très grand créateur du XXe siècle, s’identifiait au Fantôme des mers du Sud (bande dessinée) ; il portait une bague dont le chaton était une tête de mort… Et, actuellement, les Gothiques ont des chevalières et des pendentifs de deuil... Les Vanités s’impriment sur les tee-shirts, sur les pochettes de disques, dans le design.

Et aussi, dans l’exposition du musée Maillol, l’artiste chinois Zhang Huan (né en 1965) récolte les cendres d’encens, récupérées dans de nombreuses pagodes. Il sculpte des crânes presque immatériels qui s’intitulent : Ash life. Le crâne gris est fait de cendres qui sont les effets légers des prières récitées par des milliers d’humains. Selon le critique d’art Emmanuel Daydé, la sculpture de Zhang Huan serait une « effigie de poussière et d’espoir ». 

  1. Publié par le musée Maillol et par Skira-Flammarion, le livre-catalogue est riche et diversifié. Nous rencontrons (entre autres) les tableaux de Caravage, Domenico Fetti (XVIIe siècle), Zurbarán, Géricault, Delacroix, Cézanne, Picasso, Paul Delvaux… Et, surtout, les Vanités contemporaines !
Gilbert Lascault

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