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Liberté, amour, création

Article publié dans le n°1032 (16 févr. 2011) de Quinzaines

Orphée remonta des enfers entraînant à sa suite Eurydice, l’arrachant au royaume des morts, la ramenant à la vie, et échoua au seuil même du monde. Tennessee Williams lui ressemble beaucoup, sem...

Orphée remonta des enfers entraînant à sa suite Eurydice, l’arrachant au royaume des morts, la ramenant à la vie, et échoua au seuil même du monde. Tennessee Williams lui ressemble beaucoup, semble nous dire Liliane Kerjan dans cette courte biographie : lui aussi a su charmer le monde par les accents de sa lyre, lui aussi en est demeuré inconsolable, son « théâtre sensuel » a su animer des êtres inexistants, figures transgressives dans lesquelles il mit tout de sa vie et de ses angoisses, s’acharnant, disait-il lui-même, à « capter la qualité constamment évanescente de l’existence ».

Liliane Kerjan nous invite à l’aventure d’une vie entièrement consacrée à la littérature, retraçant l’existence d’un homme pris entre ses contradictions fondatrices et son impuissance à les congédier. Depuis l’enfance puritaine dans un vieux Sud qui se désagrège (et qui nous a donné tant d’immenses écrivains – Faulkner, O’Connor, Capote ou McCullers) et où il s’affronte à ce qu’il ne peut être, jusqu’à son amour absolu et permanent pour sa sœur, son « poème vivant » ou sa « Rose des Vents », de sa sexualité déviante jusqu’à ses aspirations quasiment libertaires, de ses premiers pas dans l’écriture jusqu’aux succès colossaux on Broadway et à la fortune, elle dresse le portrait d’un homme complexe qui ne cessera de lutter avec un terrible sentiment de solitude, jusqu’à vaciller au bord de la folie.

Nous redécouvrons ainsi un homme fragile qui « jette sa névrose sur les planches », ne cessant de se débattre avec lui-même, un écrivain comme convoqué par l’écriture, un être brillant et virtuose qui sut charmer son monde et engager le théâtre américain sur des sentes nouvelles. Nous ne pouvons oublier sa place aux côtés d’Albee, Miller ou O’Neill. Liliane Kerjan fait de lui un portrait dynamique qui est en même temps celui d’une époque et des transformations magistrales d’une société prospère, entretissant des anecdotes frappantes et de rapides analyses chronologiques de ses pièces qui ont bouleversé le théâtre américain du XXe siècle, l’engageant dans une manière de « plaidoyer pour une sensualité libérée, pour un carpe diem devant l’Éternité ». Pourtant ce qui demeure vraiment, ce sont les gestes et la puissance de Brando dans le Tramway…, le regard brûlant de Newman dans La Chatte sur un toit brûlant, la nature même d’une œuvre qui interroge la liberté, l’amour et la création. Mais nous sommes là au-delà de la biographie… 

Du 5 février au 2 juin, la Comédie-Française présente Un tramway nommé désir, de Tennessee Williams, texte français de Jean-Michel Déprats et mise en scène de Lee Breuer. En matinée à 14 h et en soirée à 20 h 30, salle Richelieu, place Colette, 75001 Paris.

Hugo Pradelle