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Un conte pour les grands

Article publié dans le n°1033 (01 mars 2011) de Quinzaines

 L’étonnement peut-être est ce qu’éprouve le lecteur, devant ce livre hors du commun, répétitif et stimulant.
Gaëlle Obiégly
Le musée des valeurs sentimentales
 L’étonnement peut-être est ce qu’éprouve le lecteur, devant ce livre hors du commun, répétitif et stimulant.

Oui, les deux qualités sont possibles en même temps. En narratrice espiègle, en artisan habile, l’auteur prend constamment élan et souffle, avant de continuer, sur le mot qui achève soit la phrase, soit le paragraphe précédent. Ce qui donne par exemple ceci :

« Et vous savez qui c’est ?
C’est un peu tout le monde.
Un peu tout le monde, mais pas moi, je ne suis pas d’accord.
D’accord, pas d’accord, qu’est-ce que vous voulez que cela me fasse… »

Résultat garanti : on passe du compte cocasse des domestiques, complexe car difficile (il y a les vrais, les vrais faux et les faux vrais, ceux qu’on prend pour des invités, ceux qui espionnent leurs collègues, et ceux qui se tiennent mal), aux amours de l’un d’eux, Polonais d’origine, Antoine Tixe, avec une grande blonde.

« Les domestiques en tenue d’invités sont chargés de surveiller le comportement des autres domestiques. Les domestiques en uniforme de domestiques obéissent au directeur et aux invités du directeur parmi lesquels se dissimulent des domestiques en tenue d’invités. Les invités ne remarquent rien. »

De là, on s’intéresse aux déambulations de la wieille personne, dans le salon de réception d’abord, lieu de rencontre où convergent personnages et actions, aux couloirs du château de leur hôte qui fête une œuvre d’art, celle de l’artiste Peter Weiss, enfin dans le jardin environnant. Le tout avec des incursions, toujours de la wieille personne, qui d’ailleurs, vu son allant, ne paraît pas si vieille, dans son passé lointain avec son chien, ou bien dans l’atelier où vit le jour la fameuse œuvre d’art.

À ce récit s’en greffent d’autres : celui du domestique Antoine Tixe, donc de sa belle, dont le mari refait surface après 9 ans d’absence et qui est très pressant, comme on dit, bien qu’il se dise mort ; d’un invité qui a élu, pour lire, le dessous de la table où est assise la wieille personne, dans le salon de réception.

De l’enfance, nous ne sommes pas loin, nous sommes même en plein dedans, avec le goût qu’a Gaëlle Obiégly pour les cachettes, justement, pour les fuites hors des assemblées, les mystifications et les résurrections. En plein conte pour adultes, nous sommes, voilà qui nous étonne. Comment est-ce possible, un conte pour les grands, de nos jours si troublés par les malheurs de toutes sortes, les catastrophes nationales et internationales, les massacres, les naufrages et j’en passe ? Eh oui, apparemment on a soudain le droit de se détendre, de refuser un temps d’être sérieux, de ne pas être responsable, sans se sentir coupable, de consentir au rire.

Remarquons au passage que le livre offre une forme de sagesse, égratigne des dérives artistiques, par exemple, et prônent des valeurs apparemment encore revendiquées, comme celle du retrait nécessaire à l’artiste, à celui ou à celle qui veut garder son quant-à-soi, sa faculté de penser, de rêver… Elle s’accompagne, cette sagesse, d’un soupçon d’ironie, ce qui laisse à l’auteur aussi bien qu’au lecteur le droit d’être à moitié sérieux, de garder ses distances.

« La sensation intense, on ne le croirait pas sur le moment, mais ça s’oublie très vite. » Sans sourciller et sans rire apparent (mais sous cape, comme elle doit s’amuser !) l’auteur passe du filet qui maintenait sous une perruque la chevelure d’une femme invitée à celui qui protège les fruits d’un cerisier, et qui sera utile, pense la propriétaire de l’arbre, pour capturer le mari disparu et revenu après 9 ans d’absence !

Les histoires se mélangent, les temps aussi, les couples tout autant. Mais on ne s’y perd pas. Les personnages existent bien, avec leurs particularités, leur histoire, leurs obsessions. Peut-être est-ce parce que l’auteur y met du sien, qu’elle leur prête quelque chose d’elle-même, quand elle est en accord avec eux. « Si j’aborde l’art en inhumaine, je le rate. »

Nous trouvons sous la plume de Gaëlle Obiégly, des réflexions sur l’art (la wieille personne se demande « si disparaître ne serait pas de l’art »), sur Dieu (« je crois en Dieu quand ça m’arrange, ce qui prouve que je suis »), sur l’amour (« l’amour ne connaît pas de limites, et si, à un moment, je me dis “il y a des limites”, cela signifie que je n’aime pas ce que je vis »), sur la lucidité (« la lucidité, dans certains cas, elle mène à la catastrophe »).

Marie Etienne

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