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« Vouée à ne pas être dite »

Article publié dans le n°1129 (01 juin 2015) de Quinzaines

Il est des fautes qui semblent inexpiables, qui enferment les êtres dans le silence. Pascal Herlem a vécu toute son enfance dans cette forme extrême de non-dit qui relègue la vérité – insupporta...

Il est des fautes qui semblent inexpiables, qui enferment les êtres dans le silence. Pascal Herlem a vécu toute son enfance dans cette forme extrême de non-dit qui relègue la vérité – insupportable – dans les recoins les plus obscurs de la mémoire, sous le poids de tout ce qui s’invente pour la masquer. Peu après sa naissance, sa sœur aînée, Françoise, enfant agitée et incontrôlable, est placée dans diverses institutions, religieuses puis psychiatriques. Au début des années cinquante, « croyant bien faire », on la lobotomise. Quelque temps après, cette pratique est interdite.

Son livre examine le terrible « arrangement » qu’a organisé la famille pour effacer Françoise, « repoussée dans une zone indécise », condamnée à une « existence intermédiaire, ni morte ni vivante, ni vraiment absente ni tout à fait présente ». Dans le grand vide de son absence, alors que les parents gardent en l’état sa chambre bien qu’ils n’en parlent jamais, « elle obsède chaque instant », empêchant tout dénouement, faisant comme se suspendre la vie, figée. Face à « l’épouvante » de la situation, l’auteur s’emploie à comprendre l’étrange couple que forment sa mère et sa sœur, unies dans « une douleur sans forme », l’ordonnancement de deux mondes qui semblent s’exclure et se contaminent sans fin. Ce qui pèse, c’est le silence fautif, coupable, qui fait naître, « lancinante, la douleur de la honte ».

Pourtant, le livre ne procède pas d’une exhibition de l’intime. Il en fouille, en dévoile les stratifications. Ce qui intéresse l’écrivain, ce n’est pas de dire simplement ce qui le hante depuis toujours, de s’en délivrer, mais de savoir, de décrypter comment s’est installée cette situation. Herlem essaie de comprendre « l’aliénation mutuelle » de sa mère et de sa sœur. Pour lui, « échapper à l’arrangement, [se] confronter à l’histoire de cette catastrophe, rechercher [sa] sœur et la retrouver, puis écrire relèvent du même désir de transformation de cet acte invivable ». Trouver une place dans un dispositif presque monstrueux. C’est là que son ouvrage prend son sens et évite la complaisance ou l’indécence. Pascal Herlem ne se contente pas d’une description de ce qui arrive, il explore, après sa mort, la mémoire de sa mère. Le livre s’appuie sur des carnets retrouvés dans lesquels celle-ci raconte différentes versions de la disparition de Françoise, se justifiant parfois, s’y abîmant d’autres fois.

La mère invente des versions qui réclament, non pas un éclaircissement, mais une compréhension. Face à la « sidération » que provoquent ces fictions, un impératif surgit : « Il faut qu’il y ait un sens à tout ça. » Les trois parties – qui glissent du plus factuel au plus fictionnel – le font émerger, en en soulignant les paradoxes. On part de la question des faits, d’une mémoire archivée qui se retrouve, pour interroger la part de fiction qui s’y loge, revenant toujours à la possibilité d’une légitimité. On voisine avec les démarches de Foucault, ou plus récemment de Philippe Artières, avec Vie et mort de Paul Gény. Au-delà d’un récit qui exorcise le passé, rétablit un manque fondateur, La Sœur semble être une tentative de réduire un écart insupportable entre deux êtres, comme si la vie de Françoise n’était concevable que dans l’étrange présence de son absence, comme s’il fallait s’échapper de cette existence tue. Herlem le dit nettement : « Françoise était vouée à ne pas être dite ». C’est une transformation que seule la langue peut accomplir. Le livre qu’il écrit brise le secret, restaure sa voix propre, qu’il a retrouvée, découverte et perdue, contrevenant au silence.

 

Les traducteurs demeurent souvent dans l’ombre des œuvres qu’ils traduisent.
(Re)découvrez-les, dialoguez avec eux lors des nombreuses rencontres que propose l’association Atlas. Retrouvez le programme détaillé des manifestations sur www.atlas-citl.org

Hugo Pradelle

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