"En d'autres termes"

Le traducteur ne peut parler que par la traduction, là où justement on ne doit pas l’entendre. S’il explique ou justifie sa traduction, s’il en rajoute, croyant bien faire, il ne traduit pas, ma...

Le traducteur ne peut parler que par la traduction, là où justement on ne doit pas l’entendre. S’il explique ou justifie sa traduction, s’il en rajoute, croyant bien faire, il ne traduit pas, mais interprète, or on ne doit pas l’entendre, rien dans sa traduction ne doit parler de lui, montrer sa présence. Le travail du traducteur est par nature destiné à ne pas laisser de traces, le traducteur apparaît en s’effaçant, toute sa gloire est là : ne pas se faire voir, ne pas s’exclamer à toutes les lignes « j’ai compris, me voilà ». Tel est le grand danger, que le traducteur se fasse interprète alors qu’il est déjà contraint de l’être : il faut bien qu’il comprenne et le voilà déjà piégé. Il y a toujours des passages où toutes les traductions sont semblables, comme s’il y avait des universaux du langage, des zones qui se recouvrent totalement de langue en langue et ce ne sont pas celles qui déjouent l’activité traductrice.

Tout commence dès que la langue, et c’est à tous les mots, se met à parler comme elle parle, comme le bec lui a poussé dit-on en allemand. Toute traduction est alors nécessairement une interprétation puisqu’elle parle en d’autres termes que les siens.

Rien d’aussi différent qu’une ville selon les accès, arriver à Lyon par le Rhône ou la Saône offre des vues toutes différentes et c’est pourtant la même ville. Les langues n’abordent pas la réalité par la même entrée et par définition la traduction est bien forcée d’en choisir une plutôt que l’autre, donc d’interpréter.

Georges-Arthur Goldschmidt