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La recherche de la longue vie

Article publié dans le n°1015 (16 mai 2010) de Quinzaines

Curieuse, complexe, foisonnante, l’exposition La voie du Tao déconcerte et passionne. Elle rassemble 240 œuvres très diverses : les peintures, les miroirs de bronze, les sculptures (pierre, bois, céramique), les porcelaines, les estampages, les talismans, les inscriptions, les amulettes, les tapis rituels, les blocs de jade sculptés…
Catherine Collectif Delacour
La voix du Tao : un autre chemin de l'être Catalogue de l'exposition. La voix du Tao : un autre chemin de l'être
Curieuse, complexe, foisonnante, l’exposition La voie du Tao déconcerte et passionne. Elle rassemble 240 œuvres très diverses : les peintures, les miroirs de bronze, les sculptures (pierre, bois, céramique), les porcelaines, les estampages, les talismans, les inscriptions, les amulettes, les tapis rituels, les blocs de jade sculptés…

À travers les siècles, sous des formes différentes et souvent opposées, le taoïsme se révèle simultanément philosophique, religieux, magique, superstitieux. Il s’adresse aux érudits, aux sages, à l’élite, aux magistrats, au peuple. Il se diffuse. Selon les moments, les temples sont tantôt construits, tantôt détruits. Les multiples textes sacrés sont tantôt vénérés, tantôt brûlés ; et des copies se retrouvent, restaurées. Certains empereurs favorisent la taoïsme, d’autres le condamnent. Parfois, c’est la tolérance des trois courants de la pensée (confucianisme, bouddhisme, taoïsme), parfois ils s’opposent (1).

Au départ, tout commence avec un petit livre essentiel, Tao-tê-king (La Voie et sa vertu). Au IVe siècle avant J.-C., Lao-Tseu l’aurait écrit. Il aurait quitté une cour impériale pour mener, dans la montagne, une vie d’ermite. Monté sur un buffle noir, le vieux sage à la longue barbe blanche aurait donné ce recueil au gardien d’une frontière ; il aurait repris son voyage vers l’Ouest. « Et nul ne sait ce qu’il advint ensuite »… En 166 après J.-C., une inscription gravée officialise la « divinisation » de Lao-Tseu.

Le Tao est un « procès » en marche, en mouvement : « Un quelque chose était non défini, mais accompli. Né avant le Ciel-et-terre. Il était sans parole comme sans borne. Le quelque chose est indépendant, inaltérable. Il se joue partout sans fatigue. Je ne connais pas son nom, je l’appelle la Voie. » La Voie est déliée, dégagée, parfaite ; elle engendre les êtres ; elle n’agit pas ; elle n’a pas de forme ; elle est une perpétuelle transformation ; elle s’étend en quatre directions. La Voie est une liberté, un laisser-être, un bonheur, une incertitude.

Sur les routes imaginaires, dans les espaces du taoïsme, les centaines de dieux et de déesses voyagent. Circulent d’étranges fonctionnaires de la bureaucratie céleste. Des œuvres représentent les « dieux des murs et des fossés de toutes les commanderies », les « dieux du sol de tous les districts », les « seigneurs des montagnes », les « six esprits protecteurs du foyer », les « grands généraux des friches », les « génies de l’eau, de la terre, de l’air et du monde végétal », le « Vénérable céleste du Commencement originel », le « Vénérable céleste du Joyau précieux », l’« empereur de Jade » (qui est le chef de cette bureaucratie), la « princesse aux Nuages de l’aube » (qui aide les femmes malheureuses en ménage), l’« empereur du ciel sombre » (debout sur une tortue enlacée par un serpent), la « Dame de Chanvre » (avec un panier qui contient une pêche d’immortalité, un champignon, une branche de cannabis), un « dieu de la littérature » et son acolyte (à l’allure démoniaque) qui est le « dieu des examens », un guerrier (avec sa hallebarde) qui caresse sa longue barbe, la « déesse de la lune » (qui tient un lièvre dans les bras), la « reine mère de l’Occident » (qui se nomme aussi la « mère du Métal »), etc. Ces divinités sont des guérisseurs, des exorcistes. Les taoïstes publient des traités de méditation, des codes moraux, des prophéties, des instructions rituelles, des récits.

Dans le verger de la « reine mère de l’Ouest », des pêches mûrissent tous les trois mille ans. Elles procurent la vie éternelle à celui qui les mange. Pour la « fête des pêches plates », viennent les Immortels qui chevauchent un tigre, un cheval, un dragon, un poisson, une tortue ou une grue ; ou bien ils marchent sur les vagues ; ou encore ils s’élèvent sur une feuille de lotus…

Dans l’exposition, des objets (en porcelaine et en jade) sont des symboles de longue vie : la pêche (fruit d’immortalité), un champignon (l’amadouvier) qui serait un ingrédient de l’élixir, une calebasse, le crapaud (qui évoquerait la lune et la longévité), les sceptres, le coquillage…

En peinture, en sculpture, dans les récits, dans les spectacles, les Huit Immortels surgissent. Ils sont respectés par les fidèles. Ils réconfortent. Ils sont dignes ; ils ont parfois des côtés cocasses. Ils ont confiance. L’un est alchimiste, calligraphe, poète ; il est un élégant lettré désinvolte, détaché des contingences du monde ; il possède sa petite gourde et son épée magique ; il pourfend les démons. Le deuxième Immortel serait le meneur du groupe des Huit Immortels ; il est alchimiste ; son vêtement lâche laisse apparaître son ventre replet ; sa barbe est fournie ; ses yeux sont écarquillés. Une seule femme, jeune et belle, fait partie des Immortels ; elle porte une tige de lotus. Le quatrième, monté sur un âne, tient un instrument de percussion ; il est le patron des peintres et des calligraphes. Le cinquième porte un habit de cour. Le sixième Immortel est un mendiant boiteux ; sa coiffure hirsute est cerclée d’un anneau d’or ; il porte sa calebasse et sa canne de fer. Le septième est un jeune lettré joueur de flûte. Le huitième Immortel est un « excentrique », souvent saoul ; il ne porte qu’une seule botte.

Le taoïsme recherche essentiellement la longue vie. Cette quête est très variée. Un ermite vit dans une grotte qui serait la matrice de la mère cosmique ; il suce des stalactites. Un alchimiste fabrique l’élixir de l’immortalité. Un moine lie les activités liturgiques, les rites et les méthodes de longévité. L’empereur avait souvent son maître taoïste et son médecin. Bien des taoïstes veulent se transformer par les exercices gymniques, par les techniques sexuelles, par les régimes diététiques, par l’ingestion des médicaments minéraux et végétaux, par la contemplation, par la vision des lumières et des souffles, par la rencontre des divinités.

Selon certains textes, le corps d’un taoïste est un laboratoire alchimique. Le taoïste unit le feu du cœur et l’eau des reins. Il traverse les limites de l’espace et du temps. Il expulse de son corps les esprits maléfiques. Il contrôle son souffle. Il s’envole vers les astres. Il découvre des paysages harmonieux, des îles bienheureuses. L’herbe persisterait en hiver, les fleurs ne se faneraient jamais.

1. L’exposition et le catalogue (très riche et utile) sont dirigés par Catherine Delacour, Conser­vateur en chef du musée national des Arts asiatiques Guimet.

Gilbert Lascault

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