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États de la beauté

Le poète reçoit un « petit carnet » aux « pages en partie déchirées », sur lesquelles figurent des « dessins de traits suspendus ». La beauté s’y loge-t-elle ?
James Sacré
Et parier que dedans se donne aussi la beauté
Le poète reçoit un « petit carnet » aux « pages en partie déchirées », sur lesquelles figurent des « dessins de traits suspendus ». La beauté s’y loge-t-elle ?

Devant les « dessins déchirés », paysages ébauchés, gribouillés, de Guy Calamusa, James Sacré s’interroge : que faire de ces traces ? Son poème doit-il devenir une « corbeille à papier » ? Ces dessins à l’encre noire se situent quelque part entre Lascaux et Basquiat : on y voit des stries, des signes répétés (des oiseaux ?), une échelle, un large Y qui pourrait être un arbre…

Or l’humilité guide le poète dans sa recherche de la beauté. La trouve-t-on en dessinant un maladroit mouton qu’un petit prince égaré réclame en chacun de nous ? Ou bien toute démarche de cet ordre est-elle vaine : 

Autant jeter tout ça.
À quoi bon garder trace ? 

Dans cette écriture réflexive, la beauté se cherche, s’amorce, reflue. Le poème, comme le dessin, se déchire, renonce et en garde les traces. Le poète a conscience que « Le plus beau poème n’est jamais / Que le reste de quelque chose. » Ce « quelque chose », ce sont ses différents états avant la version définitive. Et la beauté n’est-elle pas déjà dans les brouillons ? « Un brouillon de peinture non plus / N’est jamais seul / (Comme il a dit Michel Deguy / Pour la poésie). » La syntaxe du poème se tord et se plie pour mieux voir le dessin.

En peinture comme en poésie, nous trouvons « Ironie, tendresse / Et plaisir inquiet / Dans tout ce qu’on brouillonne ».

Le phrasé repris, ressassé du poème,
À cause d’un papier déchiré,
Pense à quelle merveille illusoire
Qui cependant permet
Son geste d’y croire ? 

Bien sûr, les repentirs et les doutes ne manquent pas : « Quand même un poème ? »

À force de vouloir être
dans un brouillon d’écriture
Plutôt que d’arriver dans un poème
bien foutu
[…]
À force de mal dessiner exprès,
et de jeter comme au hasard
De la couleur sur un papier 

Si quand même voilà pas
Un vrai poème à te proposer, lecteur

Avec un vrai dessin qui le tient ? 

Le pari est-il tenu ? Aux lecteurs de répondre.

Que montre le menhir « pas facile à trouver » de Palombaio ? Que signifie-t-il dans ce paysage ? L’événement ou fait mémorable qu’on voulait célébrer ou la pierre elle-même dressée, ratée peut-être ? La beauté existe sans doute autrement, là où l’on n’aurait pas imaginé qu’elle soit. Le poète nous convie, comme le peintre, à découvrir par nous-mêmes une forme de beauté singulière.

Isabelle Lévesque

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