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Article publié dans le n°1012 (01 avril 2010) de Quinzaines

 Personnages de cette enquête visiblement scrupuleuse menée dans les archives et sur le terrain par un ancien journaliste du Times de Londres : d’abord les criminels nazis que les Alliés s’étaient promis de traduire devant des tribunaux (mais lesquels ? internationaux, ou ceux des pays où les crimes furent commis ?), ceux qui avaient échappé à l’arrestation lors de la victoire, soit par la mort, (Hitler, Goebbels), soit en se cachant, soit en fuyant l’Allemagne occupée : Martin Bormann le second de Hitler, Adolf Eichmann l’organisateur du génocide des Juifs, le docteur Josef Mengele qui sélectionnait sur la rampe d’arrivée à Auschwitz, Franz Stangl qui commanda le camp de Treblinka, bien d’autres encore à mesure que leur rôle fut mieux connu (qui avait entendu parler d’Eichmann en 1945 ?)…
Guy Walters
La traque du mal (Hunting evil)
 Personnages de cette enquête visiblement scrupuleuse menée dans les archives et sur le terrain par un ancien journaliste du Times de Londres : d’abord les criminels nazis que les Alliés s’étaient promis de traduire devant des tribunaux (mais lesquels ? internationaux, ou ceux des pays où les crimes furent commis ?), ceux qui avaient échappé à l’arrestation lors de la victoire, soit par la mort, (Hitler, Goebbels), soit en se cachant, soit en fuyant l’Allemagne occupée : Martin Bormann le second de Hitler, Adolf Eichmann l’organisateur du génocide des Juifs, le docteur Josef Mengele qui sélectionnait sur la rampe d’arrivée à Auschwitz, Franz Stangl qui commanda le camp de Treblinka, bien d’autres encore à mesure que leur rôle fut mieux connu (qui avait entendu parler d’Eichmann en 1945 ?)…

…Ensuite ceux qui assumèrent la fonction de les identifier, de les localiser, de les faire arrêter, soit, avec une détermination qui aujourd’hui paraît bien insuffisante, dans le cadre d’organismes étatiques britanniques, américains (le C.I.C. ou Counterintelligence Corps) ou israéliens, soit dans des groupes d’anciennes victimes organisés en « vengeurs », comme « Nakam », du mot hébreu signifiant « vengeance », constitué en 1946 par des Juifs de Lublin qui d’ailleurs échouèrent dans leur projet meurtrier ; soit des personnalités isolées qui prirent cette tâche à cœur, comme Fritz Bauer, procureur général à Francfort, dont la persévérance fit beaucoup pour relancer la recherche d’Eichmann ; Beate et Serge Klarsfeld, bien connus en France ; et Simon Wiesenthal (1908-2005).

Ancien déporté dans plusieurs camps dont Plaszow (dirigé par le sinistre Amon Göth et représenté par Spielberg dans La liste de Schindler, avec Ralph Fiennes dans ce rôle) et Mauthausen, Wiesenthal devint, sous l’effet conjugué de ses propres efforts en ce sens et de l’attente des médias et du public, une sorte d’icône de la traque des nazis. Il est l’une des cibles de l’effort de Guy Walters pour dissiper les légendes ou fausses informations qui ont la vie dure dans cette histoire : l’entrée à son nom est la plus longue de l’index du livre, et les expressions le concernant sont sévères. « Menteur maladroit », « excellent fabuliste », il y avait là de quoi nourrir la polémique. La lecture des passages du livre le concernant (il est vrai que l’homme mis en cause n’est plus là pour répondre), étayés par la comparaison des diverses déclarations écrites et orales souvent incroyablement contradictoires de Wiesenthal, semble montrer que Guy Walters n’exagère pas, hélas. Ce qui ne détruit pas le mérite de Wiesenthal, mais le ramène à des proportions bien plus modestes, et donne du personnage un portrait complexe et finalement attachant : rusé, épris de sa gloire, entreprenant et sans scrupules. On peut avoir survécu à l’horreur et être « du bon côté » sans être un petit saint.

Ce n’est là qu’un des points sur lesquels Walters entreprend de dissiper des légendes, de découvrir ou de préciser les faits. Qu’il y aurait eu une puissante et secrète organisation « Odessa » (thème d’un best-seller de Frederick Forsyth) chargée de protéger les anciens nazis et de les acheminer en Amérique du Sud : sans doute pas. Qu’en revanche l’évêque croate Draganovic (protecteur d’Ante Pavelic) et surtout l’évêque autrichien Alois Hudal aient efficacement aidé des criminels à fuir l’Europe via Gênes (Stangl pour Damas) : il en donne des preuves. Que les Alliés (les Soviétiques aussi bien sûr) aient protégé des nazis en mettant leur savoir-faire à leur profit : vrai aussi. On savait que Barbie avait été employé ainsi (par le C.I.C. cité plus haut) avant son départ pour la Bolivie en 1951, où la dictature locale utilisa ses talents de tortionnaire; on apprend que le MI6 britannique utilisa la compétence en matière de « gestion du problème russe » du Sturm­bannführer Friedrich Buchardt, chef d’un kommando de l’Einsatzgruppe B qui avait opéré en Russie entre 1941 et 1944, quand il fut promu au grade d’Obersturmbannführer (le même grade qu’Eichmann). Buchardt n’eut jamais à répondre de ses crimes devant la justice. Quant au tueur letton Viktors Arajs, dont le commando, au service de l’Einsatzgruppe A, fut actif dans les pays baltes de 1941 à 1944, Walters le soupçonne d’avoir été au service des Britanniques jusqu’en 1949 (il fut arrêté en 1975 et mourut en prison en 1988).

Ce que j’ai trouvé de très suggestif dans le livre, en dehors de ces précisions, c’est l’éclairage qu’il apporte sur un secteur florissant de la production contemporaine : celle de best-sellers liés aux suites possibles du nazisme, épisode horrible et horriblement sexy de notre Histoire. Simon Wiesenthal est lui-même l’un de ces best-sellers, comme l’est l’Odessa de Forsyth. Dans un domaine où le flou et le mystère subsistent (on a longtemps cru que Hitler et Martin Bormann avaient survécu à la guerre), l’imagination des auteurs et des scénaristes trouve à s’exercer et à insérer ses inventions. La capture d’Eichmann en Argentine en 1960, effet d’une décision hardie de Ben Gourion, suivie de son retentissant procès à Jérusalem (l’un des événements marquants de cette époque, à mes yeux), suscita des succès de librairie. Guy Walters rappelle aussi fort opportunément comment la survie réelle ou supposée des nazis alimenta la production de fictions souvent efficaces, fondées en particulier sur le personnage de Mengele, qui mourut de noyade au Brésil en 1979, après que le Mossad ait échoué à le capturer en 1962. Ainsi Marathon Man (1974), avec « un démoniaque dentiste SS clairement inspiré de Mengele, interprété par Laurence Olivier », et Dustin Hoffman dans le rôle du jeune Juif terrorisé ; et Ces garçons qui venaient du Brésil (1978, d’après le roman d’Ira Levin), où le chasseur de nazis viennois se nomme Ezra Lieberman, allusion transparente à Wiesenthal (encore Laurence Olivier), et où est découverte une conspiration montée au Paraguay par Mengele lui-même, « interprété à l’écran par un Gregory Peck forçant merveilleusement son rôle » (Guy Walters ne manque pas d’humour).

Pierre Pachet

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