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Je cherche l'Italie

Sum pius Aeneas… « Je suis le pieux Énée emportant nos Pénates arrachés à l’ennemi et que la renommée chante au-delà des cieux. Je cherche l’Italie, la terre de mes pères… »

Sum pius Aeneas« Je suis le pieux Énée emportant nos Pénates arrachés à l’ennemi et que la renommée chante au-delà des cieux. Je cherche l’Italie, la terre de mes pères… » Italiam quaero patriam… (Énéide, ch. I, v. 375-380).

De nos jours, ce lieu et cette formule de Virgile dans l’Énéide ne correspondent plus à la réalité des divers voyages qu’un étranger peut effectuer pour aller en Italie. L’expression « Je cherche l’Italie » continuerait néanmoins d’agir. Longtemps, l’Italie a été le sujet et non l’objet du verbe « voyager » avec l’expansion de l’Empire romain ou le rayonnement depuis Rome, urbi et orbi, de la religion chrétienne… L’Italie voyageait le monde. Ensuite, la littérature, la peinture ou l’architecture, de Dante à la Renaissance italienne, ont ouvert de nouvelles perspectives. Entre le voyage de Montaigne à la fin du XVIe siècle, dans des villes d’eau, pour soigner son « mal de pierre », et Poussin décidant de vivre et de peindre à Rome au début du XVIIe siècle, on s’est mis à voyager en Italie vers sa propre renaissance (Mme de Staël, Shelley, Goethe, Stendhal, Nietzsche, Proust…). Un des noms qu’on donnera à ce voyage comme apprentissage est le Grand Tour, même si l’expression ne recouvre pas exclusivement l’Italie et que les motivations varieront à la fin du XVIIIe siècle et durant tout le XIXe siècle (cf. Marie-Madeleine Martinet, Le Voyage d’Italie dans les littératures européennes, PUF, 1996). Innombrables semblent les artistes ou plus simplement les touristes qui partent pour l’Italie. Parmi eux, certains ont su ou savent mieux que d’autres trouver l’Italie qu’ils cherchent, en dépasser le cadre simplement pittoresque ou romantique.

Quelques voyages en Italie de Freud à nos jours

Antonietta et Gérard Haddad, Freud en Italie. Psychanalyse du voyage, Albin Michel, 1995.

Présentation de l’éditeur : « Il est donné à certains lieux de révéler l’homme à lui-même. L’Italie est ce lieu au sein de l'Europe où, depuis la Renaissance, tout “honnête homme” a accompli son voyage. Freud n’échappera pas à ce tropisme italien. “Ce qu’il me faut, c’est l’Italie”, dira-t-il à chaque étape importante de sa vie. De Venise à Florence, Naples et Rome, le pays de la beauté et de la culture se dévoilera à lui en même temps qu’il découvrira l’inconscient ; le paysage italien, tout en lui offrant l’alphabet de sa théorie, deviendra le lieu privilégié de sa transmission. Mais les énigmatiques pèlerinages freudiens auront une autre incidence : celle d’ouvrir l’expérience analytique à la dimension de l’altérité et du manque à travers la découverte de l’Art, grand signifiant absent de la tradition juive, dont Freud est issu. Ce poids symbolique de l’Italie sur la personnalité et la pensée de Freud, Gérard Haddad, médecin et psychanalyste, et sa femme Antonietta, italianisante, l’ont déchiffré au prix d'une enquête minutieuse. Resituant ainsi la naissance de la psychanalyse au cœur de l’Europe, ils rappellent qu’elle est l’héritière de la civilisation latine et humaniste, héritage qu’elle se doit aujourd’hui d’assumer. »

Michel Butor, La Modification, coll. « Double » n° 1, Minuit, (1957), 1980.

Extrait de la postface de Michel Leiris : « Le personnage central et presque unique du livre […] prend un matin comme voyageur de troisième classe et sur sa seule initiative le rapide Paris-Rome, modifiant ainsi l'habitude qu’il a d’effectuer ce parcours en première classe et dans le train du soir quand il lui faut, aux frais de ses employeurs, se rendre au siège romain de la firme de machines à écrire dont il est le directeur pour la France. Son intention est de surprendre à Rome – ville dont il est féru depuis l'âge lycéen – une maîtresse qu’il retrouve à chacun de ses voyages d’affaires et à qui, cette fois, il annoncera qu’il a trouvé pour elle (conformément au vœu qu’elle avait formulé) une situation lui permettant de s'établir à Paris, où désormais ils pourront vivre ensemble, car il entend se séparer de sa femme et de ses enfants et apporter ainsi une grande modification à sa propre existence, fastidieuse et terne en dehors des quelques rayons qu’elle reçoit de la lumière romaine. En cours de route, cet évadé en puissance est le jouet d’une quantité de réminiscences, parmi lesquelles (passé le tunnel de Mont-Cenis) le pénible souvenir de ce qui fut une fête manquée pour son amie et pour lui : des vacances qu’elle vint passer à Paris. Il s’abandonne aussi à nombre de réflexions et de constructions imaginaires […]. À la fin du parcours, l’état d'esprit du personnage s’est à tel point modifié qu’il renonce au changement même en vue duquel il était parti : il passera trois jours à son point de destination sans aller voir l’amie dont il sait maintenant qu’il l’aime dans la mesure où elle est “le visage de Rome”, de sorte qu’il aboutirait à un échec en la séparant de ce haut lieu. Il optera pour le maintien du statu quo et se promettra de donner ultérieurement ce plaisir à sa femme : un voyage qu’ils feront à Rome, leur troisième visite commune de cette ville qui les avait enchantés la première fois (lorsqu'ils étaient de jeunes mariés), mais déçus la seconde alors que le pourrissement de leur vie à deux était déjà sensible. »

Yves Bonnefoy, L’Arrière-Pays, Gallimard, coll. « Poésie/Gallimard », (1972), 2005.

Extrait de la postface d’Yves Bonnefoy pour l’édition italienne : « L’Italie fut pour moi, dans la vie vécue ou imaginée, tout un labyrinthe de leurres autant que de leçons de sagesse, tout un réseau de signes de mystérieuse promesse. »

Nostalghia, film d’Andreï Tarkovski (1983), avec Oleg Jankovski, Domiziana Giordano, Erland Josephson.

Un poète russe, Gortchakov, est sur les traces d’un compatriote compositeur qui a séjourné en Italie au XVIIIe siècle. Aidé d’une traductrice, Eugenia, il parcourt le pays, découvre la chapelle où Piero della Francesca a peint la Madonna del Parto à Monterchi, ainsi qu’un village, Bagno Vignoni, avec une vieille piscine thermale. Là, Gortchakov rencontre un ermite, Domenico, qui cherche à sauver le monde du matérialisme et qui lui confie une tâche, avant de s’immoler par le feu : traverser la piscine, vidée de son eau, avec une bougie à la main, sans que la flamme s’éteigne.

Copie conforme, film d’Abbas Kiarostami (2010), avec Juliette Binoche et William Shimell.

À l’occasion de la sortie de son dernier livre, James, un écrivain anglais, donne en Italie une conférence sur les relations étroites dans l’art entre l’original et la copie. Il rencontre une jeune femme d’origine française, galeriste, qui l’entraîne pour quelques heures dans les ruelles d’un petit village du sud de la Toscane… Mais lorsqu’elle décide de s’amuser à le faire passer pour son mari trop souvent absent et que l’écrivain accepte de rentrer dans son jeu, il devient de plus en plus difficile de démêler le vrai du faux, l’original de la copie… Hommage à Voyage en Italie de Roberto Rossellini (1954).

Pierre Milza, Voyage en Ritalie, Payot, 1993.

Le Voyage en Ritalie de Pierre Milza déplace le voyage en Italie. Le voyage est celui de ces « Ritals » dont les parents ont quitté leur pays, principalement au début du XXe siècle, pour s’établir en France, comme Pierre Milza lui-même, ce qui fait que son livre mêle à la fois l’étude historique et la chronique d’une vie.

Dominique Fernandez, Le Voyage d’Italie. Dictionnaire amoureux, Tempus / Perrin, 2004.

Présentation de l’éditeur : « Décliner sa connaissance et sa passion de l’Italie en 152 mots, tel est le parti de Dominique Fernandez. Les notices deviennent tour à tour portraits, histoires, chroniques des mœurs quotidiennes, explorations des lieux célèbres comme des ruelles obscures, visites des théâtres, des églises, des palais comme des passages secrets et perdus. »

Philippe Sollers, Dictionnaire amoureux de Venise, Plon, 2004.

« Venise est une grande aventure historique. Elle peut être aussi une passion individuelle. C’est le cas ici. Dans ce titre : Dictionnaire amoureux de Venise, je souligne le mot “amoureux”. Il ne s’agit évidemment pas d'un “guide” (il y en a d’excellents), mais d’une expérience personnelle liée à ma vie d’écrivain. Je suis arrivé là très jeune, j’ai passé chaque année, printemps et automne, beaucoup de temps à marcher, naviguer, regarder, respirer, dormir et m'émerveiller. Venise, voilà son secret, est un amplificateur. Si vous êtes heureux, vous le serez dix fois plus, malheureux, cent fois davantage. Tout dépend de votre disposition intérieure et de votre rapport à l’amour. L’amour ? Oui, et dans tous les sens : anges et libertinage, architecture, peinture, musique, roman, poésie, mais aussi air, pierre, eau, étoiles. Nature et culture enfin à égalité. Venise n’est pas un musée, mais une création constante. Si vous échappez aux clichés, au tourisme, aux bavardages ; si vous avez réussi à être vraiment clandestin ici, alors vous savez ce que le mot “paradis” veut dire. Le monde se précipite vers le chaos, la violence, la terreur, la pornographie, le calcul aveugle, la marchandisation à tout va ? Mais non, voyez, écoutez, lisez : voici le lieu magique et futur dont tous les artistes et les esprits libres témoignent » (Philippe Sollers).

Yannick Haenel, Je cherche l’Italie, Gallimard, coll. « L’infini », 2015.

« Ce livre est le récit d’une expérience. J’ai vécu quatre ans à Florence, entre 2011 et 2014. Découverte éblouie d’une ville d’art, entièrement tournée vers ses fresques, ses sculptures, ses églises. Choc simultané de la crise, qui frappe avec violence les Italiens et dévaste leur culture. En me consacrant à l’Annonciation de Fra Angelico ou au Déluge de Paolo Uccello, je redécouvre la passion politique. Comment trouver une voie libre, un intervalle dans un monde ruiné ? Éclairage sur les naufrages de migrants à Lampedusa, hommage à saint François d’Assise, journal de lecture de Georges Bataille, ce livre est un récit initiatique : une aventure en temps de crise » (Yannick Haenel).

Pascal Quignard, Villa Amalia, Gallimard, 2006.

Un soir, à Choisy-le-Roi, Ann Hidden, qui est musicienne, découvre son mari en train d’embrasser une femme et décide de disparaître, d’« éteindre sa vie », dit-elle, en fuyant sur l’île d’Ischia en Italie, dans le golfe de Naples. Mais dès le début du roman, un « hasard miraculeux » se produit. À l’instant même où elle découvre l’infidélité de son mari, elle rencontre, à Choisy-le-Roi, un ami d’enfance, Georges Roehlinger, qui jouera un rôle d’intercesseur dans sa fuite, dans sa « fugue ».

Gérard Macé, Rome ou le Firmament, Le Temps qu’il fait, 2006.

« L’un des plus beaux livres écrits sur Rome. Une Rome suspendue entre le clair et l’obscur, le ciel et les ruines, les enfers et l’au-delà : une ville de fontaines et de foudre, de fleuve et d’incendie, de fables et d’artifices ; cité du théâtre et de l’illusion, élémentaire comme Isis, tragique comme Borromini, abyssale comme Piranèse… Et l’érudition est voilée comme chez Nerval, c’est une érudition qui joue, invente jusqu’au délire, tire des feux d’artifice, pâlit avec les couleurs et les reflets de la nacre, avant de s’éteindre dans la mélancolie » (Pietro Citati).

La Sapienza, film d’Eugène Green (2014), avec Fabrizio Rongione, Christelle Prot Landman, Ludovico Succio, Arianna Nastro.

À 50 ans, Alexandre a derrière lui une brillante carrière d’architecte. En proie à des doutes sur le sens de son travail et sur son mariage, il part pour l’Italie, accompagné de sa femme, avec le projet d’écrire un texte qu’il médite depuis longtemps sur l’architecte baroque Borromini. En arrivant à Stresa, sur les rives du lac Majeur, ils font la rencontre de jeunes frère et sœur, qui donneront un tout autre tour à cette échappée italienne.

François Lerbret, Le Labyrinthe et le Rêve. Venise, Rome, Le Temps qu’il fait, 2017.

« Il ne s’agira pas ici de figer telle ou telle vision pittoresque par l’écriture ni même de proposer un itinéraire inédit à un éventuel voyageur, mais plutôt de suggérer ce que l’on a cru voir circuler dans une contemplation plus ou moins attentive. C’est ce résidu visuel qui fait de l’impression confuse une certitude poétique que le lecteur pourra peut-être glaner çà et là. Et puisque la culture classique (histoire, mythes, langues) tend à s’effilocher au point de devenir imprécise à beaucoup, puisque l’on voit à notre époque les explosifs ou l’abandon venir à bout de Palmyre, Hatra, Pompéi ou Leptis Magna, il m’a paru important de perpétuer d’une manière ou d’une autre la polysémie de lieux familiers dont la précarité m’était précieuse » (François Lerbret).

Michèle Lesbre, Un lac immense et blanc, Sabine Wespieser, 2011.

Présentation de l’éditeur : « Par un matin de neige, la narratrice attend dans une gare un homme qu’elle ne connaît pas : elle a envie de parler de Ferrare avec cet étranger qui, tous les mercredis matin, dans ce Café lunaire où ils ont leurs habitudes, évoque inlassablement sa ville d’origine. Elle a pris sa journée, mais l’homme n’arrive pas par le train habituel. Dès lors, le temps s’étire, en autant de fondus enchaînés que favorise la blancheur environnante : les grilles du Jardin des Plantes s’estompent, laissant place au “lac immense et blanc”, noyé sous la neige de l’Aubrac, où Édith Arnaud vécut ses premières amours et ses premiers combats politiques. Elle n’a jamais revu Antoine, le jeune homme en colère qui, à l’aube des années 1960, voulait changer le monde. Sa silhouette traverse le récit et bientôt se superpose à celle de l’Italien du delta du Pô, dont les brumes hantent le paysage mental de cette femme rompue à l’usage du monde. »

Jean-Pierre Ferrini, Un voyage en Italie, Arléa, 2013.

Présentation de l’éditeur : « Un voyage en Italie raconte une histoire d’amour et de désirs. Un couple, qui traverse une crise, nous emmène à Ferrare, la ville de Bassani, d’Antonioni, de L’Arioste et du Tasse. Ferrare, qui dans ses murs ressemble à un secret, deviendra peut-être le lieu de la réconciliation. Ainsi, le livre brouille les frontières entre la littérature et la vie, parce que dans l’un et l’autre cas, lire ou écrire, écrire ou vivre, il s’agit d’aimer, de savoir aimer. »

Jean-Pierre Ferrini

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