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La chanson du retour

Article publié dans le n°998 (01 sept. 2009) de Quinzaines

« Tu vas me dire ce que tu as en tête ? » Prononcée avec colère par Franck, l’employeur du narrateur, cette phrase fait écho au « J’en ai assez » dit posément par Myléna, son épouse, à ce même narrateur en ouverture du roman. Façon de dire qu’on part brutalement, sur une impulsion, dans Bella Ciao, comme dans bien des livres d’Éric Holder.
Eric Holder
Bella ciao
(Seuil)
« Tu vas me dire ce que tu as en tête ? » Prononcée avec colère par Franck, l’employeur du narrateur, cette phrase fait écho au « J’en ai assez » dit posément par Myléna, son épouse, à ce même narrateur en ouverture du roman. Façon de dire qu’on part brutalement, sur une impulsion, dans Bella Ciao, comme dans bien des livres d’Éric Holder.

On claque la porte, on s’en va sans explication, on fuit, c’est tout un. Bella Ciao commence ainsi par l’image de ce narrateur pédalant vers l’Océan, avec l’idée bien arrêtée de se noyer. Myléna a décidé de rompre, lassée par son alcoolisme, par l’impossibilité de vivre leur vieil amour. Mais de même que dans La Baïne, la mer était le cercueil des amants, elle est ici ce qui sauve le narrateur, et le ramène à la vie. La dernière tasse d’eau salée est la bonne. Il reprend pied. Bella Ciao est l’histoire d’une rédemption et d’une reconquête. Le narrateur abandonne l’alcool, se met à travailler de ses mains pour gagner sa vie, recommence à écrire, et essaie de retrouver l’amour de sa vie. Difficile d’en dire plus pour résumer ce court roman, dense et émouvant, tant on y sent la sincérité d’Éric Holder. Tout est dans le détail, dans la nuance, dans la musique de la phrase. Et pourtant, rien de fabriqué.

Le paysage joue un rôle essentiel

La construction du roman ne doit cependant rien au hasard, et le cadre, le paysage, joue un rôle essentiel. On est dans le Médoc, déjà évoqué dans La Baïne, et surtout dans De loin on dirait une île, recueil de textes paru il y a un an au Dilettante, dans lequel Holder raconte son arrivée dans cette région singulière, un peu fermée au début, puis plus accueillante, pour peu qu’on en comprenne et accepte les codes. Franck Potier, le vigneron irascible et brutal qui engage le narrateur est à l’image de sa région. Il ne va pas vers les autres, n’est pas très patient et sa fierté le rend d’un commerce difficile. Mais il y a aussi les Robertson qui hébergent le narrateur quand il quitte le lieu partagé avec Myléna, dans une maison décorée à la Beatrix Potter. Il trouve là l’apaisement, une sorte de douceur de vivre dont il a bien besoin. Un café, comme Les Lambrusques, sert de halte, de lieu de rencontres, réveille les tentations et sert de repère. C’est un lieu comme les aime Holder, un moteur de la fiction.

Le cadre, c’est aussi la vigne, ses rythmes et les lumières qui l’irradient. Le narrateur procède par touches, parlant du ciel bleu layette, du soleil qui peint en rouge les allées ou « teinte en abricot » la plage de Miéville en fin de journée. Quand il revient à la lecture, à laquelle il a un temps renoncée, le narrateur est sensible aux métaphores d’Homère dans L’Iliade, à cette « aurore en robe de safran » qui suffit en effet à nous dire la lumière du matin. Les lecteurs d’Éric Holder, qui le suivent depuis Mademoiselle Chambon voire avant, seront sensibles à cette palette qui est l’une de ses marques de fabrique. Avec la précision du lexique. L’activité de la vigne, c’est la conception des « carassons », le moment de « complanter » ou d’« espourguer ». Le lecteur découvrira par lui-même ce que c’est…

Dans ce paysage qui est promesse d’éden, la séparation d’avec Myléna aussi brusque que longuement retardée résonne comme le point final d’une chute. Le narrateur a tout perdu, y compris sa capacité à écrire, à émerveiller sa compagne : « J’avais été romancier. J’étais devenu incapable d’écrire plus d’une phrase correcte. La deuxième reprenait avec malignité les termes de la première, tâchant de les expliciter, à la manière dont un ivrogne insiste pour être compris. » La précision lui manque, et la vitesse, le sens de l’ellipse. D’où l’importance de ce travail dans la vigne, travail pénible, qui crevasse ses mains, use son corps. Cette fatigue le ramène à lui-même, à une perception plus forte de l’essentiel. Il retrouve sa dignité et « ne se regarde plus dans le jaune des yeux ». Rien d’étonnant, par exemple, à ce que sa première tâche consiste à enlever la fiente séchée d’une batterie de poulets. Il ne dispose pour ce faire que d’un pic et d’une pelle. Il reconquiert les gestes, après des années d’inactivité. Et avec les gestes, la patience.

Le point final d’une chute

Celle-là même dont il aura besoin pour retrouver celle qu’il aime et qu’il a perdue. Cela ne se produit pas en un instant. Myléna aime la vitesse de sa Giulia Nuova, mais ne se laisse pas si aisément convaincre par celui qui lui aura beaucoup promis. Les souvenirs communs ne suffisent pas à les réunir, bien qu’ils soient vieux de trente ans et associés aux émerveillements de Saint-Tropez où le narrateur a passé son enfance de sauvageon, et de Paris, lorsque jeune père il emmenait sa fille Lise regarder les trains qui passent sous le pont métallique près de la Gare du Nord. La proximité entre la maison des Robertson et celle qu’habite Myléna avec son labrador permet au narrateur de voir un peu comment elle vit, qui elle fréquente. Et donc d’être jaloux. Mais rien n’est si univoque dans l’univers d’Holder et la présence d’une certaine Colette, sorte de Circé portée sur la boisson, rend difficile le retour de notre Ulysse.

Les retrouvailles avec sa fille Lise, le retour de son fils Isaac, pour quelques instants silencieux et complices, sont les étapes qui conduisent à Myléna. Alors, comme dans la chanson révolutionnaire qui donne son titre au roman, l’envahisseur oblige au combat. À condition de ne pas oublier cet adage de Roger Judrin que le narrateur fait sien : « Le vrai rival de soi n’est pas un autre. »

Norbert Czarny

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