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Le fil fragile

Un fil blanc, ou une ligne, traverse la couverture terre-de-Sienne de ce livre d’un rabat à l’autre. En ouverture, une photographie de Véronique Gentil : un chemin herbeux aux ornières marquées, la pente.
Un fil blanc, ou une ligne, traverse la couverture terre-de-Sienne de ce livre d’un rabat à l’autre. En ouverture, une photographie de Véronique Gentil : un chemin herbeux aux ornières marquées, la pente.

Le fil de la couverture, présent sur tous les livres de ces éditions, convient particulièrement à Va.

Le titre à l’impératif est-il injonction ou acceptation ? Début d’un conte ou d’une genèse : « Il y eut un temps. Un lieu. Très dur. À part on peut dire. Extraordinairement. » Un amour, comme il s’en lit dans les romans de chevalerie, fut : « Nulle paroi ne vint se dresser entre ton cœur et le mien, nulle épée entre mon corps et le tien. » En ce lieu mythique, nouvelle Brocéliande (« une grande forêt s’attacha à nos pas »), la souffrance et la mort frappèrent, brisant le silence : « la mort commença // par le langage ».

Équilibre rompu : deux typographies face à face. Page de gauche, un homme parle. En face, une voix commente ou précise. Les fils de la mémoire s’enchevêtrent : « mes idées ne sont plus qu’un bégaiement ». Deux ombres (issues du même) se sont détachées. Lutte inégale malgré « une force de médecine », « où agissent encore les petites fleurs ». Voilà la réduction lexicale, un matériau brut (d’enfance) qui œuvre. La langue va : « rouages, usage de la lettre, huile (hier tissant hier), maintenant j’ai ma mémoire dans la main, je cherche ce que veut dire “dire”, mes idées ne sont plus qu’un bégaiement ».

Écrire comme résistance : « je traverse dans des masses de corne et de chair ». Le « je » y apparaît fragile, accompagné de verbes d’action modestes : « j’ai rompu », « j’ai attrapé », « j’ai manqué », « j’ai peu écrit »… Dérisoire assise, nommément démentie, car les actions minuscules (saisir des mouches) ou niées n’ont pas d’aboutissement. Mouvement de chute. Si celui qui fait défaut ne peut revenir, l’autre peut-il espérer le rejoindre ?

« je rêve qu’un rêve
descend
qu’il est temps dans mes os
qu’il est dans mes os l’étendue
qu’il attend
et qu’il sait »

Le poème oblige, au détour d’un récit morcelé, à toucher les parois du monde pour trouver ce qui résiste à la condamnation. Le fil fragile de la vie pourrait-il se muer en corde permettant de (se) hisser ?

« c’est comme une corde d’eau
une corde innouable
d’heure à heure »

La corde gagne le lacet de la bouche : « je ne me tais pas / je suis tu ». Va n’éloigne pas, mais reconduit au mouvement initial que les autres ne perçoivent pas : « tu as pris le pas de l’arbre ». Les images sources du réel s’éloignent du possible, comme un cauchemar porterait sa part d’ombre :

« ma main est une aile ou un cheval
il fuit
rien n’est serré sous son sabot »

La corde est coupée avec « ces ciseaux / qui ouvrent ou qui ferment », balancement que le regard suit. L’impossible est logé là, dans le glissement qui opère la séparation (la mort ici) : « il faut nous dire adieu ». L’adieu, Va, se formule sans perdre la conscience de la vie, « d’un pas jeune », revenu en celui ou celle qui suivra. Une proposition et son contraire (« je tremble et je ne tremble pas ») se balancent inexorablement. 

À la dernière double-page, la voix de gauche a disparu. La phrase au présent de la seconde voix traverse l’espace. Au milieu, l’ombre près de la reliure. Beaucoup de blanc sur ces deux pages. La narratrice termine cet échange, ou cette lettre, en établissant l’état des lieux : « Depuis ta mort, je laisse la mare à l’abandon, des mousses s’installent au début du printemps, se résorbent à l’été. »

Les présences s’effacent, comme une pomme ou une grappe de raisins, dans la peinture de Véronique Gentil.

« le vent fait // danser les herbes – chose nuptiale – »

Après les « torsions » de la vie, l’« effondrement », l’adieu et tout ce qui continue dans le jardin, voulu et aimé à deux, le livre s’ouvre sur la restauration du rouge et sur la restitution d’un dialogue, puisqu’une réponse devient possible…

Isabelle Lévesque

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