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Article publié dans le n°1137 (22 oct. 2015) de Quinzaines

Une ellipse, et c’est fait : Gustave Leroy, alias « Gu », s’est débarrassé de John Lloyd. On peut le dire sans déflorer quoi que ce soir ; C crime se produit dans le nouveau roman d’Yves Ravey, Sans état d’âme. En même temps reparaît en poche La fille de mon meilleur ami. Même univers.
Yves Ravey
Sans état d'âme
(Minuit)
Une ellipse, et c’est fait : Gustave Leroy, alias « Gu », s’est débarrassé de John Lloyd. On peut le dire sans déflorer quoi que ce soir ; C crime se produit dans le nouveau roman d’Yves Ravey, Sans état d’âme. En même temps reparaît en poche La fille de mon meilleur ami. Même univers.

Tout commence par un souvenir d'enfance. Gu est installé, le soir, sur le pont de chemin de fer, avec Betty et Stéphanie. Tous trois comptent les trains qui passent, les yeux fermés : un concours où le garçon l'emporte souvent. Devenu adulte, il vit avec ce souvenir qui précédait l'appel de son père pour les devoirs. Il vit aussi avec l'amour qu'il éprouve pour Stéphanie, et celui que Betty éprouve pour lui. Mais on connaît ce genre d'histoire. Betty, déçue, a épousé Personnaz et tient avec lui le Mayerling, une discothèque à l'orée de la ville. Stéphanie tombe amoureuse de John Lloyd, un Américain qui rêve de l'emmener dans son Minnesota natal. Chose que Gu vit très mal. De même qu'il vit mal la mort de son père et le fait que le vieil homme, qui a travaillé toute sa vie, se soit vu flouer par Blanche, sa patronne et la mère de Stéphanie. Blanche a acheté la maison des Leroy et compte bâtir un bel immeuble. Gu n'aurait plus qu'à se loger ailleurs et à rester pauvre. Voilà donc réunis tous les ingrédients d'une intrigue serrée à l'extrême, dans laquelle la trame criminelle importe moins que ce qui la sous-tend : l'amour, l'argent, et une forme de fatalité. Les romans d'Yves Ravey ont en effet une dimension théâtrale que leur usage très singulier du dialogue ne contrarie pas. Le cadre est simple : unités de lieu, de temps, d'action : on est dans l'Est de la France, non loin de la frontière (ce doit être le Jura). La maison familiale, celle de Blanche, la galerie commerciale, des terres vides environnantes et le Mayerling, suffisent pour qu'on voie le décor. Quelques jours suffisent pour que tout se résolve ; le crime est suivi d'un châtiment que l'on devine dans la dernière phrase. La fatalité, on l'a évoquée, c'est celle qui est liée aux amours déçues. Comme chez Racine, A aime B qui aime C qui aime... Mais pas seulement. Gu est chauffeur routier, rêve de liberté et voit dans son camion le seul moyen d'échapper à tout ce qui lui pèse : la solitude, la maladie de sa mère qui n'a plus toute sa tête, la mort du père, vieux travailleur qui a contracté des dettes auprès de sa patronne. Il lui a été soumis vivant, son fils le sera après sa mort. À ceci près que Gu tente de venger ce père et d'échapper au sort qui lui est promis. Tuer Lloyd, c'est retrouver Stéphanie, la reconquérir. Pour ce faire, il prétend enquêter sur la disparition du jeune Américain et éloigner tout soupçon. Mais des erreurs de débutant en décideront tout autrement : il a volé la carte de crédit de sa victime, usurpé ses papiers d'identité pour dépenser sans trop compter. Le frère de John, Mike, venu enquêter sur la disparition de son frère, n'aura pas de mal à le confondre. On sent bien, là aussi, que le romancier se soucie peu de la vraisemblance propre au roman policier. Chez un auteur de « polars », l'assassin serait d'une subtilité sans égale, cacherait les traces du crime, échapperait, en deux ou trois cents pages, au détective chargé par les parents de Lloyd de résoudre l'énigme de sa disparition. En moins de cent pages, tout est dit, et davantage. En effet, l'oeuvre dense et sèche de Ravey met en relief les mécanismes de classe, comme dans Un notaire peu ordinaire ; l'auteur décrit ici, comme dans La Fille de mon meilleur ami, des êtres sans envergure pris dans l'engrenage de l'escroquerie, à cause de dettes, bien souvent. On s'en sort comme on peut, de façon sordide. Pas le choix, comme chez Jim Thompson, l'auteur de Des cliques et des cloaques (Le « série noire » d'Alain Corneau, avec des dialogues de Georges Perec). On pourrait trouver de moins bonnes références.

Norbert Czarny

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