Sur le même sujet

A lire aussi

Redécouvrir Gide

Article publié dans le n°1217 (01 juil. 2019) de Quinzaines

« Le contemporain capital » : ainsi André Rouveyre présentait-il André Gide. Un siècle plus tard, l’expression n’a rien perdu de son actualité, tant l’auteur des « Faux-monnayeurs » fut un éclectique passionné par tous les domaines de la sensibilité et de la création. Une exposition en rend compte de façon fort suggestive.

« Gide l’inattendu »

Galerie Gallimard

30-32, rue de l’Université 75007 Paris

Jusqu’au 20 juillet 2019

« Le contemporain capital » : ainsi André Rouveyre présentait-il André Gide. Un siècle plus tard, l’expression n’a rien perdu de son actualité, tant l’auteur des « Faux-monnayeurs » fut un éclectique passionné par tous les domaines de la sensibilité et de la création. Une exposition en rend compte de façon fort suggestive.

Entre Paludes, l’un des premiers « nouveaux romans » expérimentaux, La Symphonie pastorale, Les Nourritures terrestres, Corydon, Les Caves du Vatican et le Journal, l’image d’André Gide oscille entre des pôles multiples. Sensuel, avide de liberté – y compris dans la vie intime –, mais toujours rigoureux, et même sans complaisance, dans ses examens de conscience, et le goût parfois cruel de l’introspection, il est l’homo duplex par excellence, d’autant plus insaisissable dans sa complexité qu’il a d’abord incarné pour ses contemporains le style néoclassique de La Nouvelle Revue française.

C’est pourquoi Gide demeure toujours, et aujourd’hui encore, « inattendu ». C’est sous cet angle qu’a judicieusement choisi de le présenter la galerie Gallimard à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de l’écrivain. Son éclectisme y est mis en évidence, à l’enseigne de cette citation inscrite sur un mur : « Plus que jamais je me sens ce don précieux entre tous d’adopter les passions étrangères. » Comme le montrent les différentes pièces ici rassemblées, Gide a en effet manifesté une extraordinaire porosité, affective et esthétique, avec tous les domaines de la création : théâtre, essai, roman, poésie, musique, peinture… Loin de tout confort assuré, et tel un Lafcadio désireux du risque, il s’affirme « capable de tous les troubles ».

Le Gide intime est ici présent à travers quelques lettres – à sa mère comme à Madeleine Rondeaux, sa cousine. Et l’on entre dans le laboratoire de l’œuvre avec les feuillets manuscrits du Traité du Narcisse, illustré par Pierre Louÿs. Sa collaboration décisive avec La Nouvelle Revue française est rappelée par un document précieux : le contrat d’association pour la NRF entre lui-même, Jean Schlumberger et Jacques Copeau, en 1911 – étape décisive de la collaboration d’André Gide et des éditions Gallimard. La carrière éditoriale d’André Gide est aussi illustrée par une pièce rare : une lettre d’exhortation à la « prudence » de la part des éditions Flammarion pour le lancement de L’Immoraliste, document précieux qui rappelle à quel point cet écrivain aujourd’hui considéré comme « classique » dut affronter la bien-pensance de son époque.

Passionné de musique comme on le rappelle ici, Gide fut aussi préoccupé de peinture – amoureux de Chardin à défaut de bien comprendre les évolutions esthétiques qui lui étaient contemporaines. Il fut aussi un grand lecteur et traducteur, dont on peut voir des notes sur l’œuvre de Simenon, des transcriptions de Nietzsche et de Whitman, et des traductions de Tagore, Pouchkine, Conrad, Shakespeare…

Rappel de son goût pour les voyages, Gide apparaît en photographie au Congo en 1925-1926 (au-dessus de sa cantine contenant la veste qu’il portait à l’époque). La galerie présente aussi la photographie d’Oscar Wilde que lui avait confiée l’écrivain irlandais, de même qu’un très singulier portrait que Maurice Denis fit de Gide en 1892. Conformément au principe de ces expositions à la galerie Gallimard, il a été demandé à deux artistes actuels, Juliette Solvès et Pierre Antonelli, d’accompagner l’exposition d’œuvres réalisées spécialement à cette occasion : façon de prolonger l’« inattendu » fécond que réserve toujours l’œuvre d’André Gide.

Daniel Bergez

Vous aimerez aussi