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Sur la route

Article publié dans le n°1045 (16 sept. 2011) de Quinzaines

Rouler est une décision que prend le narrateur pour on ne sait pas quelle raison et à laquelle il se tiendra tout au long du récit. Le voyage sur les routes est une pratique ancienne, et qui n’appartient pas qu’à Kérouac, évidemment. Ici les routes sont en France et le regard du narrateur ne sacrifie en rien à la mythologie du road-movie américain. Tant mieux !
Rouler est une décision que prend le narrateur pour on ne sait pas quelle raison et à laquelle il se tiendra tout au long du récit. Le voyage sur les routes est une pratique ancienne, et qui n’appartient pas qu’à Kérouac, évidemment. Ici les routes sont en France et le regard du narrateur ne sacrifie en rien à la mythologie du road-movie américain. Tant mieux !

La direction d’abord est vague : juste l’idée du Sud, qui se précise peu à peu. « Je pensais à Marseille, à Nice, une ville avec la mer, avec la mer comme limite, parce qu’en même temps je pensais à une limite, je ne me voyais pas rouler indéfiniment. » Le ton nous est donné, en même temps qu’une philosophie, l’affirmation d’une distance (« Pas d’osmose. Nul basculement »), agrémentée, à doses légères mais sûres, d’humour (« si j’avais été sommé de faire le point, à ce moment, j’aurais dit que j’éprouvais seulement un gros besoin d’essence »), et aussi d’intérêt pour les individus (« j’ai espéré qu’il n’aille pas se pendre. J’étais déprimé »).

Le narrateur observe ou mieux, il enregistre, car observer est un effort, un acte volontaire. Or ici, rien de tel, mais rien, non plus, n’échappe à son regard aussi mobile que la voiture qui le transporte, à sa capacité d’appréhender dans leur globalité ceux qu’il rencontre. C’est un regard qu’on pourrait presque dire médical (et tout autant ethnologique), fait de distance et d’empathie, de quant-à-soi et d’aide, d’acceptation de l’autre. Mélange unique qui permet au mystère et au drame d’affleurer. Les êtres ne sont pas que leur superficie, dans la simplicité des propos, des actions, le narrateur entend, et nous avec, ce qui est tu. D’où l’intérêt que cette prose apparemment banale et neutre suscite à la lecture : on est happé, détail après détail. Que va nous révéler telle notation ? Rien d’énorme, mais alors, la suivante ? La suivante non plus ne débouche sur rien, ou alors si, parfois : quelqu’un s’en va de sa maison et c’est définitif, quelqu’un s’en va plus gravement encore : il meurt. C’est terrible et léger à la fois. Le terrible est léger, le léger est profond. 

Si l’empathie existe vis-à-vis de certains (l’homme rencontré dans un café, l’épouse qui a peur, ou l’homme chapeauté), l’antipathie n’existe pas. Ce qui alors se manifeste, c’est l’ironie qui va de soi quand le regard est à ce point précis et détaché, sans l’expression d’un jugement, d’une émotion particulière. Regard qui se déplace d’une robe de femme (décorée de moulins à poivre), à la demeure des hôtes, le Château, bien décevant malgré son nom ; des repas qu’on y prend (« on s’est tenus tous les trois debout avec les œufs mimosa en ligne de mire »), aux convives (« j’ai cependant noté qu’il avait les oreilles décollées, ce que j’ai trouvé rassurant, mais ce n’était pas une preuve »). 

Ne pas en dire plus est une courtoisie vis-à-vis du lecteur, invité au voyage en voiture, depuis Paris jusqu’à Marseille, où pour finir le narrateur enfin parvient, mais autrement qu’il le croyait.

Marie Etienne

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