Hölderlin revu et corrigé

 C’est à Rome en 1827-28 que Wilhelm Waiblinger écrivit son petit livre (72 pages) sur la « folie » de Friedrich Hölderlin. Ce livre est plus un éloge de l’auteur lui-même et de sa juvénile « sagesse » quelque peu protectrice qu’un véritable témoignage.
Wilhelm Waiblinger
Vie, poésie et folie de Friedrich Hölderlin
(Allia)
 C’est à Rome en 1827-28 que Wilhelm Waiblinger écrivit son petit livre (72 pages) sur la « folie » de Friedrich Hölderlin. Ce livre est plus un éloge de l’auteur lui-même et de sa juvénile « sagesse » quelque peu protectrice qu’un véritable témoignage.

Il avait fait la connaissance de Hölderlin le 2 juillet 1822 et comme l’a montré entre autres Pierre Bertaux (1) et selon son propre journal, il ne le vit qu’une douzaine de fois au total et se promène deux fois avec lui, les 8 et 9 juin 1823. Waiblinger est alors un tout jeune homme, il a dix-huit ans, est étudiant au célèbre Stift de Tübingen, le fameux séminaire où Hölderlin, Hegel et Schelling firent leurs études en commun et dont Waiblinger sera exclu pour de mauvaises raisons de « moralité » en 1826. Il fait, tout naturellement, la rencontre du poète que tout le monde connaissait et voyait se promener dans la ville.

Waiblinger est à peu près le seul témoin de l’époque qui se soit intéressé à Hölderlin, Or il se donne comme l’ayant sans cesse fréquenté pendant cinq ans et se présente comme un sorte de mentor de cet « esprit égaré », d’ailleurs surtout attiré par sa « folie » autour de laquelle tourne ce petit livre. On sait que de 1807 à 1843 année de sa mort, Hölderlin vécut confortablement dans sa tour en pension chez le charpentier Zimmer, dans cet état de « folie » sur lequel Waiblinger s’appesantit avec insistance et lourdeur comme pour se faire valoir. Tout se passe comme s’il n’osait pas aller au bout de sa propre originalité de pensée et dénonce ce qui l’attire ; aussi parle-t-il, à propos du poète, de « la puissance inconnue avec laquelle il a été aux prises toute sa vie ».

Waiblinger tout au long de son petit ouvrage ne cesse de rejeter ce qui constitue la force poétique même de Hölderlin, l’accès à une dimension de pensée hors de la normalité convenue. Il déplore ainsi que Hölderlin ait échappé progressivement à l’influence de Schiller et qu’il n’ait pas obtenu grâce à l’aide ce dernier le poste de professeur qui lui « aurait appris à se donner des limites, il aurait acquis la santé, se serait peu à peu renforcé, sa tension spirituelle se serait relâchée », pour lui il aurait en somme fallu que Hölderlin ait cessé d’être Hölderlin.

Waiblinger décrit avec précision, à la fois la vie quotidienne du poète et les diverses formes que revêt sa « folie » décidément le seul thème de son livre. On sait que cette « folie » de Hölderlin fut avant tout une profonde dépression nerveuse. Pierre Bertaux, le grand germaniste français qui fut aussi un grand Résistant et deux ans durant directeur de la Sûreté nationale, a montré que la folie de Hölderlin a largement été inventée, en tout cas « embellie » par Waiblinger. Celui-ci s’étonne par exemple de l’émerveillement de Hölderlin d’avoir enfin un sofa (2). Or la recherche a établi qu’un sofa était une rareté à cette époque et que Hölderlin semble simplement avoir récupéré un meuble qui lui appartenait. Il est vrai qu’en 1806, son agitation mentale fut extrême, son ami le diplomate Isaac von Sinclair qu’il avait rencontré à Iéna et qui l’avait pris en charge, fut arrêté pour conspiration contre le landgrave de Wurtemberg, mais bientôt relâché. Or Hölderlin, censé faire partie du même cercle, ne fut pas arrêté vu son état d’agitation. Tout cela ne démontre en rien la folie que Waiblinger met tant en avant, pas plus que les poèmes de la dernière période, Waiblinger s’en sert pour sa « démonstration », lesquels dans leur éclatante simplicité sont à mille lieues d’un quelconque dérangement d’esprit.

C’est Bertaux qui démontre que la fameuse « salade verbale » de ce célèbre poème censé prouver la folie n’était en réalité qu’un ensemble de notes prises sur un dictionnaire difficile à trouver. De plus, on sait aujourd’hui, après les trouvailles faites en 1974 à la mairie de Nürtingen, le bourg natal du poète, que Hölderlin a surtout été victime de détournements de fonds par sa mère au profit de son jeune demi-frère Karl Gock et que pour cette raison il fut obligé de prendre pension dans sa tour.

Le petit livre de Waiblinger est écrit dans un style ampoulé qui imite Schiller, il s’y érige en protecteur généreux et compétent, il ne résiste pas aux trucs rhétoriques aux clichés ni aux formules toutes faites que Hölderlin cherchait tant à éviter dans son seul et grand « roman » Hyperion. Néanmoins, ce Hölderlin de ce jeune auteur est plein d’anecdotes et de considérations assez touchantes sur l’enthousiasme poétique. On ne peut, au demeurant, qu’admirer la fidélité avec laquelle le traducteur a su rendre le style assez emphatique mais non sans qualités rythmiques de ce livre.

  1. Pierre Bertaux, Hölderlin-Variationen, Francfort, 1984.
  2. Cf. 1.
Georges-Arthur Goldschmidt