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 Ce neuvième tome du journal littéraire de Claude Michel Cluny dont l’ensemble répond au beau titre "L’Invention du temps" est aussi animé et net, aussi divers et aigu que les tomes précédents. Cette fois, il est intitulé "Moi qui dors toujours si bien" et une fois de plus, il permet au lecteur de suivre Cluny dans ses pérégrinations à travers le monde et de voir avec lui et tel qu’il sait si bien le faire voir les lieux visités.
Claude Michel Cluny
Moi qui dors toujours si bien. Journal littéraire, 1986-1987
 Ce neuvième tome du journal littéraire de Claude Michel Cluny dont l’ensemble répond au beau titre "L’Invention du temps" est aussi animé et net, aussi divers et aigu que les tomes précédents. Cette fois, il est intitulé "Moi qui dors toujours si bien" et une fois de plus, il permet au lecteur de suivre Cluny dans ses pérégrinations à travers le monde et de voir avec lui et tel qu’il sait si bien le faire voir les lieux visités.

Claude Michel Cluny a l’art, en effet, de « frapper juste », de ne jamais dire que ce qui fait courir l’imagination visuelle du lecteur, à travers de multiples et souvent petits détails, il sait faire visiter l’Espagne, le Japon et même la Suisse, Key West, Ténériffe ou Cordoue, en courtes notations qui donnent les éléments qui font tout voir, comme : « Le Pacifique plat, à peine frissonnant sous le vent. Le ciel a trouvé ce bleu sans pareil des vitraux de Chartres dont le secret s’est perdu. » Un arbre, une route, la façon très élaborée à la fois spontanée et réfléchie dont l’auteur les pose, leur donne une réalité quasi cinématographique. Par la façon de poser une valise dans une chambre d’hôtel ou d’ouvrir la fenêtre d’une chambre d’hôtel on s’y trouve soi-même introduit. Tous ces voyages à travers le monde d’Amérique en Asie et d’Égypte en Suisse ou à travers l’Europe ont pourtant quelque chose de préservé, de confortable, comme venus d’un autre temps.

Il y a dans ce journal un ton d’insouciance sur fond de gravité qui en fait un fort important témoignage qui permet de humer l’atmosphère de l’époque de prospérité et de relative détente d’avant le 11 Septembre. En même temps, toute une série de remarques et d’observations font la trame de ce texte, accompagnées d’un ton d’insolente et bienfaisante conscience de soi. C’est vraiment de lui que Cluny parle dans ce Journal car il n’est pas fréquent de parler de soi avec autant de franchise et d’indifférence à l’égard du qu’en-dira-t-on. Il ne cache semble-t-il que peu de choses et guère à se reprocher sinon le plaisir de vivre, la bonne chère, la cuisine, les recettes alléchantes donnent un tableau plutôt engageant de l’espèce humaine. Ainsi ne laisse-t-il rien ignorer de son amour pour les jolis garçons dont il fait des portraits souvent enjoués et légers, leur « bagage culturel ne pèse pas lourd » en général. Ainsi un certain Ronaldo, « charmant garçon, sensuel, aux cheveux auburn, de beaux yeux, séduisant, un rien fantasque » et de famille riche de surcroît, ce qui ne gâte rien, fut la plaisante « liaison d’un été », ces garçons, l’Escholier, Beto, Enzo vont et viennent dans le récit pour bientôt s’effacer, mais tous sont fixés d’un trait qu’on retient.

Ces rencontres sont l’occasion de réflexions et de commentaires, à la fois sur les événements et sur les circonstances politiques ou sociales, toujours d’un grand intérêt où se manifeste la grande culture historique de Claude Michel Cluny qui est l’auteur, ne l’oublions pas, d’un important ouvrage sur la guerre du Pacifique (1879-1983) Atacama.

Ce volume neuf, comme les précédents, est de ce fait un ensemble de perspectives très lucides et très éclairantes sur les vingt dernières années du XXe siècle. L’auteur est comme un dernier témoin d’une époque particulièrement apaisée et prospère de l’histoire de l’Europe qui à maintes reprises est présente. C’en est même une articulation essentielle. Le contexte politique est très souvent évoqué.

Tout l’intérêt de Moi qui dors toujours si bien est surtout dans l’emmêlement subtil entre littératures, on la retrouve à toutes les pages, et déroulement des faits quotidiens. Cela donne aux références littéraires et aux divers écrivains et personnages qui passent dans ces pages une visibilité particulière, la « critique littéraire » n’est pas en reste comme le montre ce petit portrait. « Claudel, grosse bombarde fertile en petites fusées délicieuses, rosses, inattendues, dispersées dans son Journal, entre deux évocations de l’une ou l’autre Prophéties, vaticinations, éructations. »

Tout le monde y est présent, de Julien Green à Angelo Rinaldi et tant d’autres, en passant par Mathieu Galey ou Yves Bonnefoy et Marguerite Duras qu’il « assaisonne » tout de même un peu, il est vrai que ce ne sont pas les seuls. Ce qui fait de ce livre aussi un tableau particulièrement vivant de la littérature de la seconde moitié du XXe siècle. Anecdotes et clins d’œil et maximes se succèdent : « Des livres dont la lenteur ne nous laisse pas reprendre haleine. » Claude Michel Cluny ne laisse rien ignorer de ses déceptions ni de ses succès, pas plus que de l’élaboration de son œuvre poétique, cela donne à ce long Journal un accent de vérité irrécusable que ne démentent pas certaines naïvetés volontairement conservées : « L’homme restera néfaste sans rémission, car il ne peut changer sa nature. »

De quoi retrouver feu et flamme pour la chose littéraire.

Georges-Arthur Goldschmidt

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