Livre du même auteur

Au pays de Tendre

Traducteur de Rexroth, Thoreau et John Burroughs notamment, Joël Cornuault est également poète. Il regroupe dans ce volume plusieurs recueils parus depuis 2004 et des poèmes inédits.
Joël Cornuault
Tes prairies tant et plus
Traducteur de Rexroth, Thoreau et John Burroughs notamment, Joël Cornuault est également poète. Il regroupe dans ce volume plusieurs recueils parus depuis 2004 et des poèmes inédits.

C’est très naturellement qu’apparaît le mot « prairie » chez ce spécialiste d’Élisée Reclus. Comme il s’agit ici de poésie, la Carte de Tendre ou l’Astrée nous apparaissent simultanément. Dans le dernier texte, en prose, du recueil, Joël Cornuault trace un parcours dans la « lyrique amoureuse », de Sappho à Peuchmaurd, en passant par Breton, Éluard, Jean Malrieu et bien d’autres. Il s’interroge : « Pourquoi ne dit-on jamais que l’amour libère ? » Il rappelle cette phrase de Bachelard : « Il faut être deux […] pour comprendre un ciel bleu, pour nommer une aurore. » Pour le poète aussi, la nature et l’amour s’appellent. Il n’ignore pas que « [l]a planète s’encrasse / envenimée jusqu’à son grand os ». Il voit de « minables casseurs / de pattes aux canards ». Mais « [l’]amour rectifie les paysages » et nous presse de répondre à l’invitation : « envolons-nous enfin / de ce monde lourd ».

Le temps ne peut rien contre cet amour qui ne finit pas : « J’ai conservé / l’envie de m’envoler », déclare-t-il à sa Dame, qu’il nous présente ainsi : « tu es faite comme un moineau de cerisier / une moinelette de sorbier –  / mais intense assez / pour faire feu à fleur et à fourrure / des quatre fers dans le cœur. » Que « les vieilles faux » du « temps aux trousses » ne se pressent pas !

Ces poèmes lyriques et droits résonnent comme une adresse nue à celle qui fait naître l’allégresse pure d’aimer. Les images, réversibles le plus souvent, sensuelles, assimilent le corps de la Dame à la Nature et inversement. Quand les corps se mêlent, le poème se clôt sur : « Il y a de l’air / dans l’électricité / rossignol coup de tonnerre ». Dans l’oxymore du dernier vers est gardé le secret des amants.

Certains poèmes retrouvent la tradition du blason du corps féminin : 

les rêves tes jambes
tes jambes de loup des fourrés
forfaits de fougères tes jambes
ou vérifications de velours 

et je les écarte comme des rêves gagnés
c’est extraordinaire
que je les écarte comme des lanières
de lait de lune
princesses fluettes reines optimistes 

Le mot « rêve » répété chante un vœu exaucé, l’épiphanie du corps aimé, centre d’un espace ludique et fécond.

Notre histoire c’est sûr
n’entre pas dans les clous
ni dans les sacs les cartons les murs 

La force de renouvellement du sentiment fait du dérapage léger son principe poétique (« nous sommes de mèche nue »), passant du chant de troubadour au conte. Le merveilleux en liberté du poème mêle les strates enfouies d’images superposées, qui s’émancipent et déjouent la prévisibilité.

Nous avons passé
paniers percés pommiers pansus
trente-sept années ensemble
Je réponds de toi
devant ces arbres
au bout de tes doigts
de tes cheveux en feuilles 

La musique nous capte et donne rythme de danse au poème qui avance.

[…] tu m’as donné
ton printemps
tes prairies
tant et plus 

Rien de solennel en cela ; le philtre doux de l’aimée enseigne par sa présence :

à ta langue de feuille
je m’alphabétise
au midi de tes jambes
je me baptise
 

Tout recommence et claironne doux dans ces poèmes de vie et d’amour.

Isabelle Lévesque

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