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Après « Une neige et des baisers exacts » (Cheyne), prix de la Vocation 2010, Lysiane Rakotoson revient avec un livre de poésie « placentaire », expression empruntée à Jacques Lacarrière.
Lysiane Rakotoson
Dans l’enclos des hanches
(Cheyne)
Après « Une neige et des baisers exacts » (Cheyne), prix de la Vocation 2010, Lysiane Rakotoson revient avec un livre de poésie « placentaire », expression empruntée à Jacques Lacarrière.

Le titre du livre définit l’espace de la gestation, abri temporaire et nourricier pour l’enfant, mais aussi pour le poème. Dès le seuil, on oscille : 

J’empoigne ta lumière,
mesure
l’espace –
les poudrières terrées sous la peau.
Le couteau de l’aube me racle le ventre
         y creuse un nid
         pour notre joie. 

Mystères des organes, de ce qui s’y trame face à des forces hostiles : « poudrières » et « couteau », plus loin des « lances », des « gouges », des « ronces », des volets comme des« tenailles pour la nuit »… Quant à la joie, on la « serr[e] comme un fusil ». C’est une « joie violente qui incise et recoud les journées / étrangle une dernière fois les images », une « piqûre de vive ».

Le paysage et les sensations fusionnent, avec un « nous » qui soulève les mots. L’amour et le poème devenu musique de ces corps fusionnés se lient, « ombrelles de peau vive ».

Si pour la mère « la douleur serpente comme une lame de fond », l’enfant découvre de l’intérieur « un corps d’angles [et] d’arêtes », dans « ce ventre, cloître à papillons / où les tripes et les ailes / s’entrechoquent ».

Vivre, au premier plan, se nourrit du souffle de deux êtres unis, la mère et l’enfant qu’elle porte : « nos mains soudées par nos voix basses ». Cette écriture offre un cœur, à l’avant des mots. Celui qui se glisse dans l’écriture avant de naître est aimé, ainsi s’écrit le poème. « Si seulement un poème ! » L’urgence naît à son tour : « enfin pailleter nos apparitions ».

Mais la gestation du poème, « gibier d’ombre et de neige », est elle aussi difficile : parfois « les mots s’étouffent tranquilles », parfois ils livrent une « ecchymose sur la page », ou, pire encore, on découvre « toute parole décapitée avant de battre d’une aile ».

Une histoire tellurique a commencé ; les verbes de mouvement rapprochent les textes des forces élémentaires qui les font naître : 

L’ombre tiède, lentement,
coagule entre nos murs. 

À chaque image sa portée matricielle dans une langue apparemment simple (les phrases complexes sont rares), pourvoyeuse de vertiges et d’assauts. Les verbes instaurent un écart et une dérive légère du sens – un appel à naître ou à découvrir. Les oppositions, simples et binaires (entre brûlure et froid par exemple), offrent une grille de lecture dans laquelle les parallélismes sont nombreux : « des phrases-libellules – quignons de mots » dansent devant nos yeux pour entrer dans L’Enclos des hanches.

Des vers, centrés ou décalés, inclinent le texte comme penchent ou se tendent les corps, « jusqu’à de minces / touffes d’herbes ». L’accord ancestral entre les corps et la terre est relu et le poème peut tendre vers la prose heureuse d’un arrêt du temps pour une expansion jusqu’au bout de la ligne des corps : « Je m’embusque avec le silence dans la chambre ». Ce silence omniprésent conditionne l’expression poétique. Le souffle manque (il s’étrangle, on étouffe), c’est que « notre bouche rougit dans cette mangeoire ».

À la fin du livre, les derniers poèmes éprouvent la venue, lente remontée d’un cours ou descente douloureuse. La naissance alors devient l’aboutissement (la consécration). « [T]u arrives froissé comme un lin », le doute n’est plus qui parcourait le livre, le « nous » se divise :

je caresse ton front
langues et paumes ombilicales. 

Ce« levain d’alliances » nourrira encore la voix du poème :

Une syllabe élimée commence la traversée –
notre pas dilate la source dans l’enclos des hanches.

Isabelle Lévesque

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