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Balade en terre de feu

Article publié dans le n°1011 (16 mars 2010) de Quinzaines

Tout a commencé, ou a failli finir avec Suite à l’hôtel Crystal : dans ce roman paru en 2004, l’auteur annonçait sa mort, d’une balle de pistolet Makarov, à l’hôtel Apshéron de Bakou en 2009. Malgré les conseils de ses amis, Olivier Rolin s’est néanmoins rendu dans la capitale de l’Azerbaïdjan en cette année fatidique. Il en est revenu avec ce récit réjouissant, une balade en périphérie du monde.
Olivier Rolin
Bakou, derniers jours
Tout a commencé, ou a failli finir avec Suite à l’hôtel Crystal : dans ce roman paru en 2004, l’auteur annonçait sa mort, d’une balle de pistolet Makarov, à l’hôtel Apshéron de Bakou en 2009. Malgré les conseils de ses amis, Olivier Rolin s’est néanmoins rendu dans la capitale de l’Azerbaïdjan en cette année fatidique. Il en est revenu avec ce récit réjouissant, une balade en périphérie du monde.

On ne verra rien de négatif dans l’emploi du terme périphérie, pour qualifier ce pays que borde la mer Caspienne, une mer semblable à une immense mare huileuse. Olivier Rolin aime le périph’, personnage à part entière de Tigre en papier, lieu faisant désormais « partie de sa bibliographie ». La périphérie, ce sont aussi les langues. Il y a celle du centre, cet anglais très commun que le narrateur entend chez les barmans ou serveuses, lit sur les menus qu’on lui tend, et celle, « luxueuse » qu’il essaie d’apprendre, le russe ; il note alors « ce paradoxe qui fait que ceux qui se trouvent au cœur du monde aspirent à s’en distinguer, tandis que ceux qui en sont éloignés ne rêvent que de s’y intégrer ».

« Azer » signifie Terre de feu et l’on ne s’étonnera guère que cet élément soit si présent jusqu’aujourd’hui dans les lieux qu’arpente Rolin. On a extrait du pétrole à Bakou au début du XXe siècle, sous la période soviétique, on continue d’y chercher la manne aujourd’hui. La richesse née du pétrole se voit sur les façades qui rendent parfois la ville semblable à Lisbonne même quand on y voit un immeuble hanséatique. Rolin a ce don ou cette particularité de voir les ressemblances, aussi bien dans les lieux que dans les êtres, et Bakou a quelquefois des airs de Port- Soudan. Mais tout n’est pas si brillant : la ville de Sumgayt est à cause de cette industrie, l’un des dix sites les plus pollués de la planète.

Le livre s’ouvre donc sur le paysage de ce port et de cette ville qui a connu la splendeur. Dès le milieu du XIXe siècle Dumas en parle et on ne compte pas les écrivains ou personnages célèbres qui y sont passés ou y ont résidé. C’est une des données de ce voyage que d’y croiser des grands morts, et d’en rappeler d’autres. Essenine rappelle son traducteur Armand Robin poète mort dans des conditions étranges (encore qu’un commissariat ne soit pas un lieu si surprenant pour mourir), un château immergé renvoie à Jules Verne, Calvino ou Seebald. Maeterlinck et sa « Cloche à plongeur » réveille les vieilles mythologies subaquatiques. Le récit est tissé de ces références qui ne sont pas marques d’érudition (même si on connaît celle de l’écrivain) mais présences rêveuses qui lui donnent sa densité légère, si l’oxymore est permis.

Et puis ces écrivains sont morts, et la mort hante ce livre. Rolin n’a emporté pour ce séjour que des livres, romans ou récits qui parlent de la mort, de Tolstoï à Barthes, en passant par Tynianov et Schnitzler. Le mot mort revient 83 fois dans le récit, remarque-t-il à la fin, sans compter mer Morte… Et quand il ne s’agit pas de romans ou autres fictions, c’est sa propre mort qu’il imagine, en quelques pages savoureuses et drôles : écrasé par une Mercedes sur Neftlicher Prospekt, rectifié d’une balle de 9 mm lors d’une conférence à l’Académie du Pétrole ou aplati par un immense panneau montrant le Père de la Nation, Hayder Alyiev. On en passe et des meilleures. Tout cela n’était-il pas annoncé dans un livre de Pierre Bayard, Demain est écrit ? « C’est la vie qui vient se calquer sur l’écriture, et non l’écriture qui imite la vie. » Virginia Woolf s’est suicidée comme Mrs Dalloway avant elle, Verhaeren est mort écrasé par un train, lui qui liait fer et mort dans toute sa poésie. Avoir résidé un temps à l’hôtel Apshéron annoncerait l’Achéron.

Rolin joue avec cela, comme il s’amuse de lui-même. La photo de couverture et le regard de vieux lion fatigué qu’il y a, rappelle l’animal qui figurait en couverture d’Un chasseur de lion. Dans le livre, quelques photos et autoportraits le montrent de façon peu avantageuse. Curieux ambassadeur de la culture française, à « la gueule de vieux pélican ». Contrairement à Tahir Salakhov, rencontré à l’Altunay Kafe, Rolin ne s’est jamais fait tirer le portrait en brillante compagnie, pas même celle de Bernard-Henri Lévy, et il n’a pas d’amitiés « haut placées intercontinentales et transhistoriques », comme Salakhov. Rolin est ailleurs, dans tous les sens du mot. Il consacre ses derniers jours à Bakou à la flânerie, à la rêverie, à la digression. Mythomanes et espions, mégalomanes et petites serveuses au décolleté avantageux, voilà ce qui l’occupe. À travers les courts chapitres de ce récit, qui sont autant de pistes ouvertes, il raconte la jeunesse du romanesque Koba, qui n’est pas encore le féroce dictateur Staline, évoque Kurban Saïd, l’auteur du grand roman azeri Ali et Nino. Ce Saïd, né Lev Nussimbaum, est un fabulateur peu sympathique, qui, surnommé « Le musulman » parce qu’il a choisi cette religion, finira à Positano en zélateur de Mussolini, après avoir été exclu de la Chambre des écrivains allemands au moment du nazisme, en raison de ses origines juives. Et puis l’on croise Richard Sorge, le célèbre agent soviétique né dans un village des contreforts du Caucase habité par des paysans souabes installés là depuis Napoléon. Sorge mène Rolin jusqu’à Xanlar, autrefois nommée Helenendorf, village typique de la Forêt-Noire aux confins de l’Asie…

Bakou, derniers jours n’en finit pas de nous balader au meilleur sens du terme. Rolin s’invente deux filles, de deux mariages qui lui donnent enfin le rôle de père lui manquant jusque-là. Il déambule des noms aux lieux, émet des hypothèses (ainsi sur les origines khazares du Gefillter Fisch, la carpe à la juive), répond aux questions angoissées des Azeris sur le sort d’Alain Delon, de Jean Gabin ou de « Depardiou », écrit un roman qu’on lirait volontiers sur Une nuit d’amour de Charles de Gaulle, se rend au Turkménistan voisin, décrivant Achgabat, capitale à la Eurodisney d’une des dictatures les plus étonnantes de la planète (sans doute pas qu’étonnante)… Bref, Rolin surprend.

La mort revient, réelle cette fois-ci, dans les dernières pages du livre, celle de deux amis, deux grands lecteurs qui ont disparu tandis qu’il écrivait. Elle rappelle la force de l’amitié, la présence des livres qui nous sauve de tout ou presque, la fidélité. Sans doute est-ce ce qui rend éternel.

Norbert Czarny

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