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 Les Naufragés est le seul roman, resté inédit jusqu’à aujourd’hui, qu’ait écrit Jean Améry, lequel est surtout connu pour ses essais comme Par-delà le crime et le châtiment – Essai pour surmonter l’insurmontable, Actes Sud, 1995 (éd. originale 1966) ou Porter la main sur soi – Du suicide, Actes Sud, 1999. 
Jean Améry
Les Naufragés
 Les Naufragés est le seul roman, resté inédit jusqu’à aujourd’hui, qu’ait écrit Jean Améry, lequel est surtout connu pour ses essais comme Par-delà le crime et le châtiment – Essai pour surmonter l’insurmontable, Actes Sud, 1995 (éd. originale 1966) ou Porter la main sur soi – Du suicide, Actes Sud, 1999. 

Ce roman, à la fois autobiographie et « Zeitroman », roman d’une époque, fut écrit en 1934, Améry en fit une lecture publique en 1935, le manuscrit échappa aux recherches de la Gestapo, Berggasse 16, siège d’une agence littéraire, Freud habitait au 19. Robert Musil s’intéresse à lui, mais les circonstances en retardent puis empêchent la publication. Améry est absorbé par son activité de militant socialiste et de journaliste politique. Ses essais connaissent déjà un certain retentissement. Mais bien que catholique de confession il est visé dès 1938, lors de l’annexion de l’Autriche par les lois de Nuremberg de 1935 qui déterminent la race des gens au nombre d’ancêtres chrétiens ou juifs. Il émigre en Belgique, entre dans la Résistance, est arrêté en 1943 par la Gestapo, torturé et envoyé dans divers camps de déportation comme Bergen-Belsen et Buchenwald. Il se suicide en 1978.

Le roman raconte la vie de deux personnages principaux Eugen Althager et Heinrich Hessl, tous deux d’origine juive, mais que rien ne rattache plus à cette communauté. Les événements qui constituent la trame des Naufragés se passent à Vienne en 1934, au moment de la tentative de putsch nazi où mourut le chancelier Dollfuss.

Tous les grands thèmes de l’époque sont passés en revue lors des conversations des deux personnages, l’un fortuné, l’autre de plus en plus réduit à la misère, malgré l’aide de son ami et qui finira par se suicider en se battant en duel avec un étudiant autrichien « typique » après qu’un élégant et riche rival lui ait dérobé sa maîtresse. Le suicide figure, bien entendu, celui de l’Europe.

Ce livre est une véritable anthologie des mouvements intellectuels de l’époque dont les contenus plus ou moins rigides ou confus s’expriment dans un allemand apprêté et artificiel qui va de formules glanées chez Thomas Mann, Spengler Nicolaï Hartmann ou d’autres en considérations exaltées et vagues. La très belle traduction de Sacha Zilberfarb restitue très bien ces élancements verbaux et « métaphysiques » de l’époque. C’est l’Autriche en proie à la montée du nazisme déjà en place en Allemagne. Dans ce pays encore relativement libre, le parti nazi pourtant interdit s’en donne à cœur joie, prend le pouvoir dans la rue, terrorise la population et s’en prend aux juifs et aux étrangers. En même temps on assiste à tous les débordements pseudo-philosophiques du temps, débats en tout cas marqués par l’intensité et la violence des affrontements entre les défenseurs des Lumières et de la raison et les tenants de la nature et de la « pureté », modernité et vie traditionnelle, ville et campagne, entre droite extrême glissant comme d’elle-même dans le fascisme et une gauche à la fois décidée et incertaine, en un véritable catalogue des idéologies telles qu’elles s’exprimaient peu avant la chute de l’Europe dans la barbarie.

Georges-Arthur Goldschmidt

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