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Édito

Article publié dans le n°1231 (17 déc. 2020) de Quinzaines

La Chine, qui a inventé le papier plusieurs siècles avant sa diffusion en Occident, a toujours fasciné les écrivains européens. Marco Polo en a rapporté un Livre des merveilles qui donn...

La Chine, qui a inventé le papier plusieurs siècles avant sa diffusion en Occident, a toujours fasciné les écrivains européens. Marco Polo en a rapporté un Livre des merveilles qui donnait déjà la mesure d’un étonnement admiratif face à une étrangeté prodigieuse. Au fil des siècles, l’imaginaire de la Chine a été modelé par les circulations sur les « routes de la Soie », puis par les missions jésuites, avant la mode des « chinoiseries » au XVIIIe siècle et le voisinage, au XIXe siècle, avec le « japonisme » et les œuvres d’Hokusai. La Chine conservait un très riche pouvoir de séduction pour les écrivains français qui s’y sont rendus au début du XXe siècle. Segalen y a expérimenté et redéfini la notion d’exotisme en tant que rencontre du « Divers », et y a fortifié l’ambition d’une écriture cérémonielle, mémorielle et hiératique, comme dans Stèles et Thibet. Peu de temps auparavant, c’est au début de sa carrière de diplomate que Claudel se rendit en Chine ; cet admirateur de Rimbaud, qui avait déjà fait l’épreuve d’une conversion religieuse, y découvrit une culture qui répondait manifestement à une attente obscure ; sa pensée et son esthétique en furent à jamais infléchies. 

Si l’heure est aujourd’hui au dialogue des cultures, il trouve à se prolonger surtout dans une distance féconde, qui maintient l’« écart » entre deux mondes. C’est cette notion que François Jullien souhaite maintenir, dans un vis-à-vis exigeant riche d’enseignements. Perçue dans son altérité, la Chine offre à l’Occident l’occasion de se redéfinir en se questionnant : tâche essentielle en une époque livrée au démon de l’uniformisation. C’est précisément cette distance non résorbée mais féconde qui nourrit l’œuvre de l’écrivain et peintre Gao Xingjian. Prix Nobel de littérature, chinois devenu français, il fait de la tension entre deux mondes la source d’une création multiple. À la fois lucide et onirique, réflexive et pulsionnelle, elle transforme ce qui aurait pu être vécu comme un exil en une « errance » heureuse.

Daniel Bergez

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