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« J’irai dorénavant là où je suis resté »

Adieu à Godard.  Nous avons été nombreux sans doute à recevoir, dans la matinée du mardi 13 septembre, des messages annonçant la mort de Jean-Luc Godard. Il est...

Adieu à Godard. 

Nous avons été nombreux sans doute à recevoir, dans la matinée du mardi 13 septembre, des messages annonçant la mort de Jean-Luc Godard. Il est toujours difficile d’exprimer un sentiment concernant une personne qui n’est pas un proche, mais qu’on a aimée en tant qu'artiste. La tristesse qu’on éprouve est étrange, sensation d’un vide qui s’agrandit de plus en plus en consultant le registre des disparitions. Je me souviens que, ce jour-là, rue des Pyrénées, à Belleville, une vieille dame m’a interpellé sur le trottoir pour me demander je ne sais quoi à propos d’une tour Eiffel miniature en plastique qu’elle a sortie de son sac. Elle était accompagnée d’une jeune fille qui l’aidait à se déplacer. Nous avons un peu parlé et au cours de la conversation, en ôtant sa casquette en signe de salut, elle m’a dit, avec un accent légèrement sétois, qu’elle avait 91 ans, et j’ai pensé aussitôt qu’elle avait le même âge que Godard. Elle portait une veste d’homme, en flanelle, écossaise, trop grande pour elle. En s’éloignant, sa petite silhouette, trébuchante, s’accrochait au bras de la jeune aide-soignante, jusqu’à ce qu’elle disparaisse, comme dans un poème de Baudelaire ou la première des Thèses sur la philosophie de l’histoire de Walter Benjamin. 1930. Godard et elle sont nés en 1930. En 1940, ils avaient 10 ans, 15 en 1945, 38 ans déjà en 1968. Ils ont connu un autre monde.

Parmi l’impossible filmographie, À bout de souffle (1960), Le Mépris (1963), Pierrot le fou (1965) ou La Chinoise (1967) auraient suffi, suffiraient. Mais Godard ne se contenta pas de faire des films, il a fait du cinéma, écrit des poèmes cinématographiques, inventé une langue, celle que nous lisons dans Puissance de la parole (1988), Histoire(s) du cinéma (1988-1998) ou Adieu au langage (2014). Beaucoup se reconnaissaient aussi en lui lorsqu’il répondait à ceux qui l’interrogeaient. Une manière de se situer, de ne jamais entonner le credo des institutions culturelles, médiatiques. Sa « lettre filmée » en 2014 à Gilles Jacob et Thierry Frémaux, président et délégué général du Festival de Cannes, possède dans ce sens une valeur testamentaire : « J’irai dorénavant là où je suis resté. »

 

À voir

Mitra Farahani
À vendredi, Robinson
Avec Jean-Luc Godard et Ebrahim Golestan
Documentaire (1 h 37 min)
Sortie en salle le 14 septembre
Diffusion sur Arte le 10 octobre

Ce film est la chronique de la rencontre entre Jean-Luc Godard et Ebrahim Golestan, une des figures de la Nouvelle Vague iranienne dans les années 1960. Après la Berlinade en février ou en juillet le Festival international du documentaire (FID) à Marseille, l’émotion est particulière pour ceux qui le découvrent aujourd’hui. Alors qu’il préparait Adieu au langage en 2014, pendant plusieurs mois, Godard acteur de lui-même orchestre une rencontre improbable avec Golestan en rejouant quelques-uns des thèmes qui le hantaient à la fin de sa vie. La langue n’est pas le langage, répète-t-il, on n’est jamais suffisamment triste pour que le monde soit meilleur, ou il y a quelque chose d’insatisfaisant… On assiste presque à un dialogue platonicien entre Pénia (la Pauvreté) et Poros (l’Abondance) qui est aussi un « éloge de l’amour »…

Jean-Pierre Ferrini

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