Écrivain, poète, traductrice, Ryoko Sekiguchi est japonaise, vit à Paris et écrit en français. Partagée entre (au moins) ces deux cultures, elle l’est aussi entre deux passions, qui se fécondent souvent l’une l’autre sous sa plume : la cuisine et la littérature. En 2012, elle avait fait paraître deux petits essais soyeux et profonds (L’Astringent et Manger fantôme) dans lesquels elle titillait nos papilles interculturelles et nous prouvait à quel point l’univers du goût – même sous ses aspects les plus incidents, voire évanescents – peut donner à penser au-delà de son assiette. Elle revient aujourd’hui, sur ce même registre, avec un opus de moins de cent pages tout aussi réjouissant. Dans Fade, c’est cette fois la négation du goût qui est mise à la question, avec finesse et acuité.
Dans un essai brillant publié au début des années quatre-vingt-dix[1], le philosophe et sinologue François Jullien s’efforçait de relever les vertus positives accordées à la fadeur dans la tradition esthétique chinoise. Il constatait qu’elle n’y traduisait pas tant un défaut ou un manque qu’un état essentiel du monde lorsque celui-ci est appréhendé de manière radicale, en deçà de ses tensions contingentes et dans l’interstice de ses actualisations passagères. D’un point de vue philosophique, la fadeur dévoilerait finalement l...
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