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Le pape François filmé par Wim Wenders

L’histoire des papes est une histoire mouvementée qui souvent suscite des polémiques. Le documentaire de Wim Wenders sur le pape François, le dernier en date, ne le dément pas.

WIM WENDERS

Le Pape François. Un homme de parole

96 min

Sortie en salles : 12 septembre 2018

L’histoire des papes est une histoire mouvementée qui souvent suscite des polémiques. Le documentaire de Wim Wenders sur le pape François, le dernier en date, ne le dément pas.

Le hasard de l’actualité brouille la sortie nationale en France du Pape François. Un homme de parole, puisqu’on retiendra de ce film, non pas la « parole » du pape François, mais ce qu’il a dit lors de son retour d’un voyage en Irlande, fin août dernier. Répondant à la question d’un journaliste, il conseillait à des parents apprenant que leur enfant était homosexuel de recourir à la psychiatrie. Des propos qui reviendraient à penser que l’homosexualité relève d’une maladie mentale. En fait, il s’agirait plutôt d’essayer d’en comprendre les causes par le biais de la psychanalyse (ou d’une thérapie) afin de mieux l’accepter, le cas échéant. Mais la justification, trop ambiguë, voire maladroite, conforte davantage les sceptiques quant à la possibilité de l’Église de s’adapter à notre société (du mariage des prêtres au mariage pour tous, en passant par les lois sur l’avortement). L’autre vecteur de perturbation est évidemment la pédophilie avec ces scandales à répétition (en Irlande ou ailleurs) qui ne cessent d’agiter la sphère vaticane. L’Église, par l’intermédiaire de son pape, est par conséquent bien mal placée pour assener au monde des leçons de probité, comme le propose l’essai-documentaire de Wim Wenders.

« Qui suis-je pour juger une personne homosexuelle ? » avait pourtant reconnu le pape François et, dans le film, il affirme à l’égard de la pédophilie une « tolérance zéro » (qu’un représentant de la religion chrétienne puisse commettre une pareille ignominie semble dépasser son entendement). Le problème est que le Vatican est une vaste institution, une institution humaine, trop humaine, et qu’il n’est pas facile de la contrôler ; qu’en elle demeurent des coins d’ombre impossibles à refouler et des failles inadmissibles. Dans l’Enfer de Dante, au chant XIX, certains papes sont plongés dans des trous circulaires, la plante des pieds brûlée par des flammes, parmi les simoniaques, c’est-à-dire parmi ceux qui, délibérément, dans leur vie, abusaient du commerce des valeurs spirituelles. On rencontre également, au chant XV, des sodomites, cette fois sous une pluie de feu, dont ser Brunetto Latini, qui enseigna à Dante « comment l’homme se rend éternel ». Un éloge paradoxal qui ne correspond pas à la nature du châtiment qu’il inflige à ce maître vénéré. Ainsi, Dante savait déjà qu’il ne suffit pas d’être pape pour mériter le paradis ou qu’un « damné » n’est pas forcément incriminable.

Une seconde critique touche à la facture même du film. On s’interroge en effet sur l’importance des moyens de production qui contrastent avec le « message » que le pape François tente de faire passer : la pauvreté, telle que saint François la prêchait, ce pape étant, dans toute l’histoire de l’Église, le premier à adopter le nom du petit pauvre d’Assise. On a parfois l’impression d’un film de propagande publicitaire qui déborde d’images parfaitement maîtrisées et qui défile à un rythme assourdissant, en suivant dans le monde entier les mouvements de la « papamobile ». De plus, à ce jeu, le pape use en véritable acteur de tous les artifices d’une campagne électorale. On finit donc par se demander : en quoi le pape François est-il un homme de parole et qu’est-ce que signifie cette machine cinématographique ?           

Mais ces réserves formulées, il est nécessaire d’aller plus loin. Wim Wenders n’a pas seulement fabriqué un film de commande. Il met notamment en lumière la relation essentielle entre le pape et François d’Assise en insérant un film dans le film, une sorte de document hagiographique qui retrace la vie du saint. Tout commence, pour Wenders, par le choix patronymique du pape. Il est le fil rouge qui guide la construction narrative. Ces scènes sont tournées en noir et blanc avec une caméra Debrie qui date de 1920. « Les spectateurs auront le sentiment d’images récupérées d’un vieux film d’archives, explique-t-il, par la texture particulière qu’elles recèlent, apportant une dimension supplémentaire au film, quelque chose à mi-chemin entre le documentaire et la fiction. » Peut-être aussi une manière de rendre hommage à Rossellini, qui réalisa en 1950 Onze Fioretti de François d’Assise (titre original : Francesco, giullare di Dio, « François, jongleur de Dieu »), et malgré les manquements néoréalistes de l’ensemble.

Le pape François souhaite plus que tout renouer avec la fraternité franciscaine et reconstruire sur ces bases une Église « en ruine » après les pontificats (trop long pour l’un et trop bref pour l’autre) de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Dans ce sens, le fameux Cantique du soleil sert de ligne directrice (un des poèmes fondateurs de la langue italienne datant du début du XIIIe siècle), que Wim Wenders s’applique à décliner en dégageant deux principes consubstantiels : le prochain et la nature.

Dans les entretiens qu’il accorde au cinéaste (face caméra, droit dans les yeux) ou dans les discours qu’il prononce, le pape François répète inlassablement que nous devons prendre soin de notre prochain, de sa souffrance, comme nous devons prendre soin de la nature. Les premiers à pâtir du dérèglement climatique et de la crise économique qui profite à un petit nombre de nantis irresponsables (« 20 % de privilégiés qui détiennent 80 % des richesses ») sont les pauvres. Sur eux retombent les conséquences désastreuses. « Loué sois-tu, clamait François d’Assise, pour frère soleil, sœur lune, frère vent, sœur eau, frère feu… Loué sois-tu pour notre sœur, la terre mère nourricière, pour ceux qui, par amour, pardonnent, qui souffrent d’infirmité et de tribulation… Loué sois-tu pour notre sœur, la mort… » Chacun de ces thèmes est repris et traduit afin de trouver une résonance dans le présent.         

Il va de soi que les origines latino-américaines de Jorge Mario Bergoglio ne sont pas sans rapport avec les convictions qui l’animent. Nous avons changé d’époque. Les combats du Polonais Karol Józef Wojtyła, à la fin de la guerre froide, ne sont plus les nôtres. Désormais, nous vivons dans un espace multipolaire. L’urgence est mondiale. À l’âge de 82 ans, le pape François éclaire de son sourire les luttes infatigables qu’il mène contre les injustices sociales et contre les méfaits écologiques du néolibéralisme. Wim Wenders a avant tout réalisé un film politique, et les héros en sont les laissés-pour-compte (dans les bidonvilles, les camps de réfugiés, les prisons…). Il ne fait pas de prosélytisme pour convertir je ne sais quelle brebis égarée.

Il n’y a pas de temps à perdre pour conjurer la fatalité qui est en train de dévaster inexorablement notre sœur la Terre. Les propos mal compris du pape ou, hélas, les prêtres pédophiles (sans minimiser les terribles conséquences de leurs actes) ne doivent pas détourner notre attention, par exemple, de la démission en France, le 28 août 2018, du ministre de la Transition écologique et solidaire. Le catholicisme de Bergoglio ne stigmatise pas les différences, culturelles, religieuses, ethniques, nationales… : il n’espère que les réconcilier. Sa parole est celle d’un homme. Elle est limitée.

Jean-Pierre Ferrini

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