Il y aura bientôt quarante ans, paraissait Fragments d’un discours amoureux de Roland Barthes. Un livre qui assura au sémiologue son plus grand succès de librairie (plus de cent mille exemplaires vendus l’année de sa publication) et dont on a peut-être un peu oublié l’ovni qu’il fut, tant par sa forme que par son propos. Écrit à partir d’une série de leçons données à l’École pratique des hautes études entre 1974 et 1976, l’ouvrage créa la surprise et l’enthousiasme, à contre-courant de l’air du temps : on n’y trouvait aucune recette sulfureuse, aucune tentative particulière de « libération », aucune compromission non plus avec ce que l’on suppose souvent hâtivement être attendu du grand public. Passé par les mains de plusieurs générations d’étudiants, cet essai en mosaïque qui joue à cache-cache avec l’autofiction ne propose pourtant aucune théorie de son objet, mais un lieu, un abri, pourrait-on dire, pour le langage si particulier qui le déploie. C’est sans doute là l’une des raisons qui ont préservé ce livre des affres de l’obsolescence. Certains l’évoquent aujourd’hui, malgré sa singularité, comme un classique ; d’autres se contentent d’avouer qu’il fait partie de ces textes rares que l’on peut lire et relire sans fin.
Fragments d'un discours amoureux
Barthes dit quelque part : « Le seul événement sera ma mort, tout le reste est de l’ordre du discours ». Ce que nous nommons communément « l’amour » n’avait sans doute pas de raisons à ses yeux d’échapper à cet apophtegme. Pour autant, l’une des intentions notables des Fragments est de redonner à penser ce que le discours du sujet amoureux, jusque dans sa plus grande pauvreté, a d’éminemment déviant. La passion amoureuse, même observée sous l’angle du langage, ne constituait pourtant pas, au milieu des années soixante-dix, une préoccupation majeure. La question...
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