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Tours, détours et Imprévus

Article publié dans le n°1013 (16 avril 2010) de Quinzaines

 Il suffit de peu au narrateur des romans de Christian Oster pour être perturbé : une mouche qui prend ses aises dans une chambre, un rhume persistant, du sable envahissant le seuil d’une maison, ou au pis, une sacoche égarée ou une femme aimée qui est partie. Il est question de choses voisines, dans le nouveau roman d’Oster, Dans la cathédrale. Il est aussi question de mariage.
Christian Oster
Dans la cathédrale
(Minuit)
 Il suffit de peu au narrateur des romans de Christian Oster pour être perturbé : une mouche qui prend ses aises dans une chambre, un rhume persistant, du sable envahissant le seuil d’une maison, ou au pis, une sacoche égarée ou une femme aimée qui est partie. Il est question de choses voisines, dans le nouveau roman d’Oster, Dans la cathédrale. Il est aussi question de mariage.

Par exemple celui que ne fera pas Jean, le narrateur, avec Marianne : il veut des enfants, elle n’en veut pas. Ils aiment faire l’amour mais, quand débute l’intrigue, ils le font de manière espacée. Et puis dans l’appartement de Jean habite aussi Paul et c’est dérangeant, comme toute intrusion qui dure. Jean aimerait bien lui trouver du travail dans le journal auquel il collabore, il voudrait surtout que Paul déménage. Cela au moment où dans l’immeuble emménage Élisabeth, une femme qui l’aurait connu il y a dix ans quand il était au chômage. Jean ne se rappelle presque rien de ce que lui dit Élisabeth et en est très troublé.

En ce début de roman, les événements se multiplient et chaque fin de chapitre annonce une surprise. Ainsi de l’enterrement d’Alexandre, ami de Jean, qui contribue à déso­rienter plus encore notre narrateur. Après la cérémonie, Paul disparaît, on apprendra plus tard comment et pourquoi. Mais cet enterrement, suivi de la rupture officielle avec Marianne, amène Jean à prendre une décision importante : il part dans la Beauce, non loin de Chartres. Il retrouve là Andrieu, patron du journal dans lequel notre héros tient une chronique. Andrieu va se marier avec Anne. Mais très enrhumé, il demande à Jean d’aller chercher la robe de mariée chez le teinturier. La cérémonie, la seconde à laquelle Jean participera durant le roman, se déroulera dans la cathédrale qui donne son titre au livre, et qui, le temps d’un bref chapitre final, est le point d’aboutissement d’une histoire d’amour. D’aboutissement ou de départ : le lecteur en jugera.

Développer ainsi les péripéties peut sembler inutile. Or ces parcours, ces rencontres, ces petites actions et grandes supputations sont la matière même de l’œuvre romanesque de Christian Oster. Matière d’abord, parce que tout cela engendre une écriture. Le tempo est changeant. Saccadé, avec de fréquents passages à la ligne quand la rencontre avec Élisabeth sème le trouble sur un passé qu’il ne reconnaît pas, tout en coulées, en sinuosités, quand le narrateur a le sentiment que sa vie s’émiette, à la sortie du cimetière. La mort de son ami n’est pas seule en question, même si bien sûr elle le renvoie à ses craintes, mais c’est aussi le vide, la sensation de flotter qui donne ce rythme au passage. Ce sentiment de vide fait écho à l’état d’esprit composite qui était le sien, face à Marthe, la fille d’Alexandre et une longue phrase traduisait cet état du narrateur.

L’écriture d’Oster naît de petits riens qu’elle développe, amplifie, interroge, transformant le concret en une pensée toujours en mouvement, et en quête d’apaisement. Entrer dans la cathédrale serait avoir enfin une certitude que le cimetière n’a pas donnée. Une certitude de bonheur, surtout, puisque la seconde partie du roman, celle qui commence dans la Beauce tourne autour d’un amour possible, avec Anne, au prénom si « ostérien ». Un être qui se perçoit de façon composite, pour reprendre l’adjectif : « Évidemment, je la vis d’un bloc. Ou plutôt non. Elle partait dans tous les sens. Une épaule là, un mot ici pour me demander si j’avais bien dormi, finalement la courbe d’une hanche, la pâleur du visage, la bouche, souriant mieux que la mienne, en tout cas, d’où sortaient encore les mots qu’elle venait de prononcer, comme répercutés en pleine montagne, et, au milieu de cette panique, le regard, auquel, paradoxalement, pour rétablir un peu d’ordre, je tentai de m’accrocher. » Tout se joue constamment, dans le ton, entre poésie et fantaisie.

L’attention aux petits riens, aux détails concrets donne le sentiment que le héros d’Oster vit sous un microscope, ou l’œil fixé sur cet appareil. Il voit ce que nous ne voyons pas et rien ne lui est étranger. Mais sa sensibilité au détail lui permet aussi de lire le tout, d’embrasser du regard ou de l’esprit un tout. Ainsi, quand Jean transporte dans la camionnette la robe de mariée d’Anne, il voit brièvement la jeune femme nue. Si le champ, dans les romans d’Oster, est souvent rempli par un personnage en mouvement perpétuel, le hors-champ l’est encore plus : l’attente d’autre chose, et souvent de l’amour, est l’horizon. Et autour de cette autre chose se déroulent quantité de micro-événements qu’on ne peut qu’imaginer.

Mais on ne saurait parler d’Oster sans évoquer ses paysages. Ils n’ont rien de pittoresque, et se cantonnent souvent à quelques lignes horizontales à peine troublées par quelques dénivellations. Ici, la Beauce que Jean traverse dans sa camionnette ou sur une bicyclette qui finira mal, alors qu’il tente de suivre Andrieu, sur les petites routes locales. On est à la fois dans la convention – le paysage comme arrière-plan d’une intrigue amoureuse ou tendant à l’être, et dans une certaine forme de réalisme. Oui, ce territoire quasi désert à cent cinquante kilomètres de Paris, on le reconnaît, on voit les champs de maïs, les rues des villages. Matière d’écriture encore, que la phrase construit au fur et à mesure.

Il aura donc fallu tous ces tours et détours, ces fausses pistes que sont les apparitions et disparitions, pour qu’on entre enfin avec Jean, Anne et Andrieu dans la cathédrale. La procession est solennelle, silencieuse, mais l’union pressentie réserve encore des surprises.

Norbert Czarny

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