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Un livre nécessaire

La première chose, peut-être, qu’on se demande lorsqu’on a lu D’une aube à l’autre est comment Laurence Tardieu a réussi à l’écrire, à écrire ce récit qui parfois se met à chanter pour dire tantôt la joie tantôt la terreur, ou la joie dans la terreur comme le signifie l’exergue de Manuel Vilas : « J’ai vu de la joie dans la terreur… »
Laurence Tardieu
D’une aube à l’autre
(Stock)
La première chose, peut-être, qu’on se demande lorsqu’on a lu D’une aube à l’autre est comment Laurence Tardieu a réussi à l’écrire, à écrire ce récit qui parfois se met à chanter pour dire tantôt la joie tantôt la terreur, ou la joie dans la terreur comme le signifie l’exergue de Manuel Vilas : « J’ai vu de la joie dans la terreur… »

Les faits sont les suivants : alors que le monde est en train de se confiner, en mars 2020, Laurence Tardieu et son mari apprennent que leur enfant, Adam, âgé de 4 ans, est atteint d’une leucémie. L’épreuve va durer très exactement cent cinquante-huit jours. Après une greffe réussie de la moelle osseuse donnée par sa grande sœur, l’enfant sortira de l’hôpital Robert-Debray, à Paris, fin août 2020. Le dénouement est donc heureux. Le livre raconte l’histoire d’une guérison, les affres douloureuses de cette guérison, la détermination d’une mère, les différents seuils qu’elle franchit et qui lui procurent à chaque fois le courage de continuer, le dévouement sans faille, admirable, du personnel hospitalier, à qui Laurence Tardieu rend hommage. Même si, dès le départ, le lecteur sait que l’enfant, dont la vie aura tenu à un fil, a vaincu la maladie, on entre dans ce témoignage comme dans un cheminement initiatique.

D’un bout à l’autre, d’une aube à l’autre, nous sommes requis par une tension narrative. On ne lâche plus le livre, saisi par la force qui emporte le récit. Les faits, indépendamment du drame qu’il recèle, ne suffisaient pas ; il fallait encore être capable de les écrire. La tâche paraissait impossible : « J’écris ce livre, explique Laurence Tardieu, pour tenter de reconstituer une histoire dont j’ai été en partie actrice mais qui, tout du long, m’aura échappé. Dans les semaines qui ont suivi la sortie de l’hôpital, on me demandait parfois de raconter. Je cherchais par où commencer, je cherchais comment dire ça. J’avais chaque fois la sensation d’être aspirée par un tourbillon de poussière, et de moi-même devenir poussière. Je finissais par répondre : c’est irracontable. » Quelque chose se perdait, comme l’enfant. Seule l’écriture, la solitude de l’écriture, sa nécessité vitale, dans un second temps, après coup, était en mesure de « laisser une empreinte », de relater l’expérience indicible, de se glisser dans les rêves, les métaphores, celles d’un lac intérieur, d’un bain dans la mer, ou d’une montagne, à soulever… Durant les cent cinquante-huit jours de la maladie, le monde était extérieur. En descendant dans l’enfer de la maladie, Laurence Tardieu s’est enfermée dans la matrice qui avait donné vie à son enfant et qui maintenant allait lui redonner la vie. « Tu sais, je suis content parce que je suis tous les jours avec toi », dit l’enfant. À la fin du livre, neuf mois et sept jours se sont écoulés depuis la sortie de l’hôpital, le temps justement d’une gestation, d’une naissance, d’une renaissance.

Autour de la mère et de l’enfant, qui trouvent l’un dans l’autre l’énergie de combattre la maladie, gravitent d’autres personnes qui n’en constituent pas moins le noyau de la guérison : les soignants, Yassine notamment, dans un hôpital qui continue d’assurer sa mission première ; les deux sœurs du petit Adam, Gaïa et Josepha ; l’amie proche et fidèle, Céline ; la présence bienveillante du père de Laurence Tardieu, avec lequel elle renoue des liens profonds ; et bien sûr, Gilles, le père de l’enfant, qui, lui aussi, à chaque instant, aura été là. Sa présence cependant va lentement s’effacer. Si l’amour a été plus fort que la maladie, il n’a pu empêcher la séparation des parents. Dans les dernières pages, alors que Laurence Tardieu respire un bouquet de roses qui resplendit devant elle en irradiant son corps, s’opère une réconciliation avec le monde. Rien ne tient, semble-t-elle comprendre, face à cette beauté. « Je pense ne plus savoir grand-chose désormais. Mais il y a une chose que je sais. Je l’ai apprise tout au long de ces mois, je le ressens à nouveau en cet instant : ni le joug du temps ni celui de l’existence ne tiennent face à la beauté. » On voudrait le croire.

Jean-Pierre Ferrini

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