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Autoportrait photo

Article publié dans le n°1109 (16 juil. 2014) de Quinzaines

Russie, Afrique, Amérique, Asie : Françoise Huguier, appareils photos en bandoulière, a traversé tous les continents. On pourra en juger du 4 juin au 31 août puisque la Maison européenne de la photographie propose une exposition des travaux qu’elle a réalisés ici ou là, jusque dans les lieux les plus éloignés.
Françoise Huguier
Au doigt et à l'œil
Russie, Afrique, Amérique, Asie : Françoise Huguier, appareils photos en bandoulière, a traversé tous les continents. On pourra en juger du 4 juin au 31 août puisque la Maison européenne de la photographie propose une exposition des travaux qu’elle a réalisés ici ou là, jusque dans les lieux les plus éloignés.

La photographe sait aussi raconter et on en jugera en lisant Au doigt et à l’œil, autoportrait vivant qu’elle a écrit en échangeant avec Valérie Dereux.

Vivant parce que Françoise Huguier a mené son existence comme un roman d’aventures dont elle a été la précoce héroïne. Elle avait huit ans, son père dirigeait une plantation au début de la guerre d’Indochine. Le Viet-minh les enlève, son frère et elle, et les conduit au Cambodge. Pendant huit mois, ils survivront dans des conditions très difficiles.

À peine libérée, l’enfant entre chez les sœurs, à Brunoy, dans une institution qui applique la pédagogie Montessori et enseigne à la jeune fille à entretenir son esprit critique. Elle ne manquera jamais de le faire.

Elle connaît la fièvre de ces années soixante : on peut à la fois écouter les cours de Leroi-Gourhan, voir les films d’Antonioni et de Bergman dans les salles du Quartier latin, s’habiller avec les minijupes de Mary Quant ou le short de Silvana Mangano dans Riz amer. Le goût de la photo lui vient. Elle passe son CAP en tirant les photos des autres, de grands photographes comme Sarah Moon, Irving Penn, ou encore Guy Bourdin qu’elle admire.

Puis elle devient elle-même photographe. Elle travaille pour 100 idées et Zoom, fait un premier voyage avec son mari en Indonésie et vit l’expérience Libération. Rien à voir avec le fade journal d’aujourd’hui. C’est encore le temps de l’argentique, des appareils photos qu’on transporte en nombre, pour répondre à des situations variées. C’est surtout le lieu des expérimentations, des instants uniques et des beaux ratages. Elle côtoie les grandes plumes du journal. Elle voyage au Japon avec Serge Daney, rencontre Kurosawa, retrouve la tombe de Mizoguchi, l’un des maîtres du critique cinématographique ; ses planches-contacts sont égarées par le journal...

Elle accompagne souvent des journalistes, chose qui ne se pratique plus vraiment aujourd’hui. L’indispensable dialogue entre la plume et l’œil n’est plus possible. L’agence « Vu », fondée par Christian Caujolle, donne un nouveau cadre à son travail, et la délivre pour partie des contraintes de l’actualité. L’« angle décalé » si cher à Françoise Huguier est aussi le souci de Caujolle : il choisit ses photos – reporters à contre-emploi.

Françoise Huguier s’intéresse à la culture quotidienne, à la vie ordinaire et aux rites pratiqués par ceux qu’elle photographie. D’où ses nombreux voyages, et le temps qu’elle y consacre. Elle apprécie la durée permettant d’écouter, de regarder, de comprendre, par le détail, le geste, la couleur ou l’atmosphère. C’est le cas au Japon, ça le sera lors du fabuleux séjour en Sibérie dont le récit clôt l’ouvrage, et plus encore sur sa terre d’élection, en Afrique. Le Mali est son deuxième pays… la Bretagne sa terre d’élection.

Comme tout artiste, elle connaît des crises, est prête à renoncer à son art. Une nouvelle terre, une proposition originale réveille son désir. Elle trouve son angle décalé dans les défilés de mode, son regard donnera aux stylistes une place qu’ils n’avaient pas. Elle vit un choc en lisant L’Afrique fantôme de Michel Leiris : ce livre l’aidera à exorciser une peur. Elle était incapable de photographier ce continent, ses habitants. Après sa rencontre avec Leiris, qui la soutient dans son projet, elle part sur ses traces d’une rive à l’autre de l’Afrique. Michel Guy l’aide à financer ce voyage. Le texte écrit par Michel Cressole est amusant et passionnant, mêlant le récit d’expériences vaudoues assez discutables et une vraie découverte. Et puis une anecdote amusante, concernant le portrait de Leiris, donne toute la mesure de cet étonnant personnage.

Ce goût de la découverte, propre à la photographe, on le ressent dans toute son intensité en lisant le dernier chapitre consacré à la Sibérie polaire, portion de la Russie prise par le froid et la nuit polaires. La rencontre avec les Nénets, l’un des peuples de ces régions, est un moment fort dont on ne dira rien de plus, afin que les lecteurs s’en émerveillent ou s’en étonnent.

Aux dernières nouvelles, Françoise Huguier aimerait retourner au Mali, après la guerre de l’automne dernier. Elle est encore et toujours aussi curieuse que l’enfant en péril qu’elle a été. Le roman d’aventures continue.

Norbert Czarny

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